Différences entre les pages « Adventice » et « Agroforesterie »

De Les Mots de l'agronomie
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<big>'''''Auteur'' : [[A pour auteur::Pierre Morlon]]'''</big>
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<big>''Auteur'' : '''[[A pour auteur::Emmanuel Torquebiau]]'''</big><br/>
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|titre 1=Avertissement
 
|note 1=Cet article traite exclusivement de la notion sémantique d’<u>adventice</u>, distincte de celle de <u>mauvaise herbe</u>. La lutte contre les adventices est, ou sera, traitée ailleurs
 
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{{Infobox article
 
{{Infobox article
|Anglais=Weed ''désigne toute plante sauvage jugée inutile''. Volunteers ''désigne les repousses d’une culture précédente ; s'il s'agit de repousses en bordures, certains parlent de'' feral populations.
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|Anglais=agroforestry
|Allemand=Adventiv-
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|Allemand=
|Espagnol=
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|Italien=policultura verticale
|Annexe 1=Esseiglage, esseigler
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|Espagnol=agrosilvicultura
|Annexe 2=Les adventices en agriculture paysanne manuelle dans les Andes centrales
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|Portugais=agrosilvicultura ''(Portugal),'' sistema agroflorestal ''(Brésil)''
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|Annexe 1=
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|Annexe 2=
 
|Annexe 3=
 
|Annexe 3=
 
|Annexe 4=
 
|Annexe 4=
|Article 1=Mauvaise herbe
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|Article 1=Agroécologie
|Article 2=Désherbage
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|Article 2=Bocage
|Article 3=Sarclage
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|Article 3=Compétition
|Article 4=
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|Article 4=Couvert végétal
|Date d'acceptation=19 mars 2010
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|Article 5=Cultures associées, intercalées,...
|Mise en ligne=30 juillet 2010
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|Article 6=Évapotranspiration
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|Article 7=Oasis
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|Article 8=Protection intégrée
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|Date d'acceptation=19 octobre 2010
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|Mise en ligne=5 novembre 2010
 
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__NOTOC__
 
__NOTOC__
== Définition ==
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==Définitions==
'''En [[agronome, agronomie : étymologie|agronomie]], on appelle adventice toute plante poussant dans un [[Champ, pièce, parcelle|champ]] cultivé, sans y avoir été intentionnellement mise par l’agriculteur cette année-là : « Adventice. Pris du mot latin qui veut dire advenir, qui advient, ou qui vient après coup, par surcroît, qui est surajouté. On dit plantes ''adventices'', celles qui croissent sans avoir été semées. Les mauvaises herbes, entr'autres, sont des plantes ''adventices'' ; les bonnes qui viennent, comme on dit, de Dieu grâce, sont autant de plantes ''adventices''. »''' (Schabol, 1767 : 7).
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D’après Nair (1993), c’est en 1977 que le mot ''agroforestry'' aurait fait son entrée dans la littérature scientifique. C’est alors un néologisme. Un groupe de forestiers tropicaux sollicités par le [[A pour institution citée::Centre de recherche pour le développement international|Centre de Recherche pour le Développement International]] (CRDI, Canada) écrit dans un rapport qui fera date (Bene et al, 1977) que, pour sauver les forêts tropicales, il faut prendre en compte les pratiques des populations vivant à proximité et donner la priorité aux systèmes de production intégrant la foresterie, l’agriculture et l’élevage. Le terme « agroforesterie » est proposé pour illustrer cet enjeu. La définition qui en est donnée est la suivante : '''« Un système de gestion durable du sol qui augmente la production totale, associe des cultures agricoles, des arbres, des plantes forestières et / ou des animaux simultanément ou en séquence, et met en œuvre des pratiques de gestion qui sont compatibles avec la culture des populations locales »'''. Tout est dit. Les définitions qui suivront seront des variantes ou des simplifications de cet énoncé limpide et visionnaire. On y détecte – avant l’heure – la notion de durabilité. Le [[sol]] est l’objet de la première des attentions. La production est l’objectif de la démarche, mais elle doit être totale (comprendre : diversifiée) et le fait de [[pratiques locales]] (comprendre : pas le fait de décisions technocratiques). Le système associe (chaque mot est important !) cultures, arbres et animaux – dans cet ordre (noter la première place donnée aux cultures).
  
Le mot a parfois désigné les « espèces étrangères à une flore et qui y ont été introduites » (Guyot, 1952 : 32).  
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Un centre international de recherche en agroforesterie est créé à la fin des années 70 (ICRAF : ''International Centre for Research in Agroforestry'', aujourd’hui le ''[[A pour institution citée::Centre international pour la recherche en agroforesterie|World Agroforestry Centre]]'', Nairobi, Kenya). Son mandat initial est la diffusion des concepts de l’agroforesterie et la mise en œuvre de recherches en partenariat avec les pays en développement. Par souci de pragmatisme, il publie la définition suivante: « Le terme agroforesterie est une '''appellation générique pour les techniques et systèmes d’utilisation de la terre dans lesquels des ligneux pérennes sont utilisés de manière délibérée sur la même unité de gestion de la terre que des cultures agricoles ou de l’élevage, en disposition spatiale ou séquence temporelle ; il y a des interactions aussi bien écologiques qu’économiques entre les différentes composantes »''' (Lundgren et Raintree, 1982). Par rapport à la définition d’origine, on constate dans cette définition très technique l’arrivée du terme « ligneux pérennes » plutôt que « arbres », afin de permettre la prise en compte des arbustes, arbrisseaux, lianes, bambous et autres végétaux ligneux. Cette définition insiste par ailleurs sur le fait que des interactions sont nécessaires pour pouvoir parler d’agroforesterie. On comprend qu’il s’agit de faire le lien avec l’expression « de manière délibérée » utilisée plus haut dans la définition et exclure ainsi les cas où des arbres se retrouveraient par hasard dans une situation de proximité avec des cultures.
  
{{citation dictionnaire
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Le ''World Agroforestry Centre'' reformule la définition de l’agroforesterie au début du XXI<sup>e</sup> siècle et propose une version où apparaissent des critères environnementaux et de développement durable : '''« L’agroforesterie est un système dynamique de gestion des ressources naturelles reposant sur des fondements écologiques qui intègre des arbres dans les exploitations agricoles et le paysage rural et permet ainsi de diversifier et maintenir la production afin d’améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales de l’ensemble des utilisateurs de la terre »'''. Le [[paysage]] rural est ici pris en compte, précision qui a son importance en raison des nombreuses interactions écologiques entre arbres et cultures qui se manifestent au-delà de l’échelle de la [[parcelle]], par exemple l’effet [[brise-vent]] ou le fait d’abriter des [[auxiliaire]]s. On le voit, l’agroforesterie, approche holistique de la gestion de l’espace rural, peut être appréhendée de différentes manières. Si l’on s’en tient à la parenté de l’agroforesterie avec l’agriculture, la définition la plus concise qui ait été proposée est la suivante : '''« L’agroforesterie est la mise en valeur du sol avec une association (simultanée ou séquentielle) de ligneux et de cultures ou d’animaux afin d’obtenir des produits ou des services utiles à l’homme »''' (Torquebiau, 2007). On peut peut-être faire plus court : '''« L’utilisation d’arbres en synergie avec des pratiques d’agriculture ou d’élevage »'''.
|texte citation= Les Laboureurs appellent mauvaises herbes, toutes celles qui croissent dans leur champ, & qu’ils ne se proposaient pas d’y cultiver
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|référence citation= [[A pour personne citée::Henri-Louis Duhamel du Monceau|Duhamel du Monceau]], 1750 : 132
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==L’agroforesterie en pratique==
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Faire de l’agroforesterie, c’est donc mettre des arbres dans les [[champ]]s. L’idée peut surprendre et fera bondir plus d’un agriculteur, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Par exemple aligner des [[noyer]]s dans un champ de [[céréale]]s ; cultiver des [[Légume, légumineuse | légumes]] ou du [[café]] sous un [[couvert végétal | couvert]] arboré ; entretenir des [[haie]]s arbustives régulièrement espacées dans un champ ; transformer un [[jardin]] potager en jardin-forêt ; entourer les champs de haies pour former un [[bocage]] ; faire pâturer des animaux dans un pré-bois. L’étymologie du mot (agriculture et forêt) ne rend que partiellement compte de la réalité de l’agroforesterie : la « culture mêlée de forêt » n’est qu’un cas parmi d’autres, et pas le plus fréquent.
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L’agroforesterie est une pratique très ancienne qui a plus ou moins résisté au temps selon les régions du monde. De nos jours, ce type d’agriculture fait encore vivre un milliard d’habitants des zones tropicales. Et, dans toutes les zones semi-arides de la planète, du Sahel à l’Asie centrale, les animaux des pasteurs nomades pâturent en terrain boisé ou consomment du brout, la partie tendre des arbres et arbustes.
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L’agroforesterie est en effet omniprésente dans les pays tropicaux. Le [[système de culture]] le plus répandu en Afrique consiste à entretenir des arbres dispersés dans les parcelles et [[culture, cultiver | cultiver]] entre les arbres [[File: MotsAgro_Agroforesterie_1.jpg|400px|thumb|left|<center>Photo 1 : karités dans un champ de cotonniers. Diapaga, Burkina Faso. Photo © E. Torquebiau</center>]]. On appelle parfois ceci un parc agroforestier, ou de l’agriculture multi-étagée (Dupriez et de Leener, 1993). Les arbres qui s’y trouvent ont des usages multiples : bois, nourriture, médicaments, fibres, [[fourrage]], résine, latex, tannin, etc. On en utilise les feuilles, le tronc, les [[fruit]]s, mais aussi les [[racine]]s, les branches, les fleurs. Dans ces champs, les arbres protègent le sol de l’[[érosion]], en améliorent la [[fertilité]], procurent de l’ombre aux plantes qui ne supportent pas le plein soleil ainsi qu’aux hommes et animaux domestiques, diminuent les effets néfastes du vent, retiennent l’humidité. Ils sont aussi un symbole de statut social et permettent de visualiser les limites des champs ou de marquer la propriété d’un terrain. L’agroforesterie tropicale, ce sont aussi les jardins-forêts, agroforêts et forêts plus ou moins domestiquées que l’on trouve dans de nombreux pays. Le café ou le gingembre, lorsqu’on les cultive sous des arbres d’ombrage, le poivre, la vanille [[File: MotsAgro_Agroforesterie_2.jpg|300px|thumb|right|<center>Photo 2 : Culture de vanille sur arbres supports (''Glirricidia'') et sous cocotiers, La Digue, Seychelles. Photo © E. Torquebiau</center>]] ou les ignames qui poussent grâce à un arbre support, les [[pâturage]]s sous cocotiers ou en milieu forestier, sont autant de cas d’agroforesterie. Les espèces d’arbres fourragers se comptent par centaines; ils permettent notamment d’assurer l’alimentation des troupeaux pendant la [[saison]] sèche [[File: MotsAgro_Agroforesterie_3.jpg|300px|thumb|left|<center>Photo 3 : Arganiers dans les champs près d'Essaouira, Maroc. L'arganier est cultivé pour la production d'huile et fournit un fourrage apprécié des chèvres. Photo © E. Torquebiau</center>]]. L’agroforesterie est aussi présente dans l’agriculture multi-étagée des [[oasis]], déjà remarquée par Pline l’Ancien dans son ''Histoire Naturelle'' (1<sup>e</sup> siècle ap. J.-C.) Les exemples sont innombrables et témoignent de l’importance de l’arbre dans le quotidien des populations rurales des pays du Sud.
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L’agriculture des pays industriels, quant à elle, a superbement éliminé l’arbre de ses préoccupations pendant la plus grande partie du XX<sup>e</sup> siècle, le laissant aux forestiers et arboriculteurs spécialisés, sous prétexte qu’il gêne les cultures, ne permet pas de faire de grandes parcelles et complique la [[mécanisation]], notamment le [[labour]]. On connaît le résultat : la monotonie de nombreux paysages agricoles contemporains dépourvus de haies et où les champs complantés d’arbres ont disparu. Outre l’aspect esthétique, qui n’a rien d’universel, ces paysages sont souvent victimes d’érosion hydrique et éolienne et montrent des problèmes liés à la perte de biodiversité, en particulier la disparition des auxiliaires (insectes, oiseaux, etc.). Pourtant, certains se souviennent encore d’un temps pas si lointain (Cardot, 1933) où l’on enseignait l’équilibre agro-sylvo-pastoral dans les écoles. La tendance est en train de s’inverser, plus ou moins timidement selon les pays : au début de ce siècle, l’agroforesterie se fait une place en Europe, où l’on sait désormais produire du bois d’œuvre et des céréales sur une même parcelle (Dupraz et Liagre, 2008). Les haies rurales sont réhabilitées. Les Néo-zélandais et les Australiens sont passés maîtres dans l’art de l’élevage associé aux plantations forestières. Les arbres devraient bientôt reprendre la place qu’ils n’auraient jamais dû perdre dans la mise en valeur du sol par l’homme.
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Il est cependant important de noter que l’association spatiale ou temporelle d’arbres et de cultures induit des interactions écologiques qui peuvent prendre des formes très variées. Ce sont des interactions de complémentarité favorables aux cultures qui sont recherchées lorsqu’on fait pousser ensemble, par exemple, des arbres d’ombrage avec des cultures tolérantes à l’ombre, ou des arbres dont les nodules bactériens racinaires [[fixation symbiotique|fixent]] l'azote avec des [[Cultures associées, intercalées...|cultures intercalaires]]. L’intégration d’arbres à faible densité dans des parcelles céréalières en culture intensive peut, elle, se révéler bénéfique pour les arbres par rapport à des conditions de croissance en plantation forestière. Des phénomènes de [[compétition]] peuvent néanmoins apparaître, comme par exemple lorsque les racines des arbres et des cultures sont en concurrence pour les [[réserve en eau du sol | réserves en eau du sol]]. L’excès d’ombrage ou la concurrence pour les nutriments du sol peuvent aussi avoir un effet négatif sur la [[croissance]] des cultures. Le choix du couple arbre - culture et les pratiques permettant de limiter la concurrence entre arbres et cultures (taille, élagage, date des [[semis]], etc.) sont donc fondamentaux et l’agroforesterie ne peut pas s’improviser du jour au lendemain. Les recherches en agroforesterie sont confrontées aux contraintes de durée liées à la croissance des arbres, mais aussi à la présence de cycles différents entre les composantes des [[Cultures associées, intercalées,... | associations]]. Il est souvent fait appel à la [[Modèle | modélisation]] (bio-physique et économique) qui permet de s’affranchir en partie de ces contraintes.
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==Typologie==
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La diversité des [[espèce]]s végétales et animales utilisées par l’homme permet d’imaginer un nombre quasiment infini de combinatoires agroforestières ; il faut donc les classer pour en identifier les principaux types. La première nomenclature était fondée sur les trois composantes de base de l’association (arbres, cultures, animaux) et proposait trois catégories : agrosylviculture, sylvopastoralisme, et agrosylvopastoralisme, selon que l’on mélange cultures et arbres, arbres et animaux, ou cultures, arbres et animaux. Cette classification que l’on trouve encore dans certains documents n’est pas passée dans l’usage car la première catégorie (agrosylviculture, au demeurant synonyme d’agroforesterie) contient toutes les associations sans animaux, c’est-à-dire l’immense majorité des cas d’agroforesterie. Elle n’est donc pas discriminante. On y trouve côte à côte les agroforêts multistrates, les arbres d’étage supérieur en plein champ et les haies vives, types pourtant bien différents. D’autres critères de structure permettent d’aller plus loin dans la séparation des types agroforestiers. Les associations simultanées (composantes présentes en même temps, par exemple des arbres d’ombrage au dessus de cultures) sont différentes des associations séquentielles (composantes se succédant dans le temps, comme dans le cas des [[rotation]]s). On peut différencier les associations ordonnées (arbres en ligne ou autre disposition géométrique) des associations mélangées (arbres dispersés de manière irrégulière dans les parcelles). Des critères liés à la principale fonction de l’association peuvent être utilisés, qu’il s’agisse d’une fonction de production (fruits, bois, fourrage) ou de service (protection du sol, brise-vents, arbres d’ombrage, entretien de la biodiversité).
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La prise en compte de caractères structuraux facilement visibles permet de déterminer cinq grandes catégories agroforestières :
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*'''Les cultures sous couvert arboré''', où de grands arbres dominent une culture sous-jacente [[File: MotsAgro_Agroforesterie_4.jpg|400px|thumb|left|<center>Photo 4 : Cultures sous couvert arboré à Rosette, dans le delta du Nil (Égypte). Sous les palmiers dattiers, on trouve des arbres fruitiers (agrumes, oliviers) et des cultures maraîchères. Photo © E. Torquebiau</center>]]. Ce sont les champs complantés d’arbres, souvent en lignes, les cultures dites « tolérantes à l’ombre », comme le café ou le [[cacao]], cultivées sous des arbres d’ombrage, les cas où l’arbre sert de tuteur à une culture grimpante, et enfin les [[verger]]s à cultures associées. En Europe, de gros efforts de recherche ont été faits récemment, non sans succès, pour tenter de faire passer l’idée qu’on pouvait cultiver des arbres d’étage supérieur alignés dans les champs (Eichorn ''et al.'' 2006).
  
La très ancienne notion de [[mauvaise herbe]] qualifie intrinsèquement de nuisibles des espèces végétales, de même qu’on a longtemps décrété « nuisibles » des espèces animales comme les rapaces et les renards...
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*'''Les agroforêts et jardins agroforestiers''' [[File: MotsAgro_Agroforesterie_5.jpg|400px|thumb|right|<center>Photo 5 : Jardin agroforestier à Kalimantan, Indonésie. Photo © E. Torquebiau</center>]], associations complexes et multistrates de nombreuses espèces pérennes et annuelles qui ressemblent à des forêts ou à des bosquets. Le jardin agroforestier est une variante du jardin potager dans laquelle les arbres ont une importance majeure, parfois jusqu’à faire disparaître les habitations sous leurs cimes. L’agroforêt stricto sensu est une authentique forêt cultivée, souvent très diversifiée, qu’elle soit plantée ou résultant de la domestication d’une forêt naturelle (Michon et al. 2007).
  
Or ces plantes peuvent être mauvaises et bonnes à la fois. L’''Encyclopédie'' de [[A pour personne citée::Denis Diderot et Jean le Rond D'Alembert|Diderot et D’Alembert]] note par exemple :
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*'''L’agroforesterie en disposition linéaire''' [[File: MotsAgro_Agroforesterie_6.jpg|300px|thumb|left|<center>Photo 6 : Paysages de haies rurales, Costa Rica. Photo © E. Torquebiau</center>]] regroupe tous les cas – fréquents – où les arbres apparaissent côte à côte et selon des alignements dans les champs ou le paysage rural. On y trouve les haies, autour ou dans les champs, les clôtures végétales, les alignements d’arbres brise-vent ou d’arbres servant à marquer le [[parcellaire]]. Le bocage, apparu en Europe vers la fin du Moyen Âge dans un contexte de croissance de la population et de développement de la propriété foncière, rentre dans cette catégorie.
{{citation dictionnaire
 
|texte citation= La paille que l'on donne à manger à ces animaux [les chevaux] (...), est la paille de froment ; la plus nourrissante & la plus appétissante est celle qui est blanche, menue & fourrageuse, c'est-dire mélangée de bonnes plantes : telles que sont la gesse, le fetu, la fumeterre, le grateron, le laiteron, le liseron, le mélilot, l'orobanche, la percepierre, la percefeuille, la tribulle, le pied-de-lièvre, la varianella, la scabieuse, la nielle, les espèces de psyllium, le rapistrum, la vesce, la bourse à pasteur, la velvote, le coquelicot, &c. Observons cependant que la bonté que ces genres de plantes communiquent à la paille, ne peut compenser le dommage que leurs graines causent au blé & à l'avoine
 
|référence citation= Diderot, D'Alembert, 1757, t. 7 : 248
 
}}
 
  
Ainsi, « Le mot <u>mauvaises</u> ne doit être pris ici que dans un sens relatif et non absolu, car d'excellentes plantes de prairies ou de pâturages sont de mauvaises herbes dans un champ de blé », écrit [[A pour personne citée::Christophe-Joseph-Alexandre Mathieu de Dombasle|Mathieu de Dombasle]] ([~1840] 1862), qui ajoute : « et le blé lui-même serait une mauvaise herbe dans une pièce ensemencée en colza » (t. 3 : 63). Lorsqu’on ne peut ou ne veut, ni récolter les plantes individuellement, ni les mélanger, ce qui est le cas pour des [[céréale]]s semées à la volée, et de façon systématique dans les agricultures mécanisées, même les repousses des [[culture]]s précédentes ([[Adventice - Annexe 1|annexe 1]]) sont, elles aussi, indésirables – ce qui peut aller très loin : lorsqu’un contrat engage un agriculteur à livrer une [[variété]] ou un [[type variétal]] précis, toute repousse de la même espèce, mais d’une autre variété ou type, est une indésirable qui peut faire déclasser ou refuser le lot !
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*'''L’agroforesterie animale''' (Baumer, 1997) [[File: MotsAgro_Agroforesterie_7.jpg|300px|thumb|right|<center>Photo 7 : Arbre fourrager : chèvre broutant dans un arganier, Essaouira, Maroc. Photo © E. Torquebiau</center>]] comprend les cas où une production fourragère est obtenue dans une parcelle arborée mais aussi les cas où il y a présence simultanée d’arbres et d’animaux, ces derniers pouvant consommer du brout (fourrage d’arbre) ou du fourrage herbacé. Quelques cas d’élevage d’animaux utiles (vers à soie, crustacés de mangrove) en association avec des arbres complètent cette catégorie.
  
Cette ambivalence a conduit certains auteurs (par ex. [[A pour personne citée::Chrestien de Lihus]], 1804) à employer le seul mot <u>herbe</u>, sans adjectif péjoratif ; et d’autres, au XVIII<sup>e</sup> siècle, à emprunter à la philosophie le terme neutre d’<u>adventice</u> : « Adventice, terme de jardinier. Les plantes adventices sont celles qui croissent sans avoir été semées : telles sont les mauvaises herbes, & les bonnes qui viennent de Dieu grâce, comme on dit vulgairement » (supplément de l’''Encyclopédie'', 1776). [[A pour personne citée::Adrien de Gasparin|Gasparin]] en 1849 et [[A pour personne citée::Pierre-Paul Dehérain|Dehérain]] en 1892 n’emploient que lui. Cette volonté de neutralité dans le choix du terme rend inappropriées les définitions selon lesquelles les adventices sont indésirables ou nuisibles pour la culture.  
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*'''L’agroforesterie séquentielle''' [[File: MotsAgro_Agroforesterie_8.jpg|400px|thumb|left|</center>Photo 8 : « [[Jachère]] » agroforestière à ''Sesbania sesban'', Chipata, Zambie. E. Torquebiau. Photo © E. Torquebiau</center>]] correspond aux situations où arbres et cultures se succèdent dans le temps, comme les « [[jachère]]s » arborées, l’agriculture itinérante et certaines plantations dites « en relais ».
  
Parmi toutes les espèces non semées qui poussent dans un champ, certains producteurs, ou d’autres personnes, peuvent juger que toutes ne sont pas nuisibles et que certaines sont même utiles ([[Adventice - Annexe 2|annexe 2]]) :
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==Perspectives de l’agroforesterie contemporaine==
*soit directement pour la culture en place, en lui apportant de l’[[azote]] ([[légumineuse]]s), en la protégeant contre des ravageurs ou les dégâts du bétail (espèces amères ou produisant des molécules insectifuges, nématifuges...), ou en abritant des [[auxiliaires]]...
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Le renouveau de l’arbre dans les paysages ruraux ouvre d’immenses possibilités. Que ce soit en milieu tropical, hélas fréquemment contexte de pauvreté, ou dans le cas de l’agriculture industrielle des pays du nord, favoriser les associations entre arbres à usages multiples et agriculture permet notamment de contribuer à la qualité du sol (peu d’érosion, recyclage des nutriments, entretien de la fertilité, la [[Structure du sol, état structural, dégradation structurale | structure]] et la [[Microbes (microfaune et flore) du sol | biologie du sol]]), d’améliorer le cycle de l’eau (stockage de l’eau dans les plantes et le sol, effet sur le régime pluviométrique) et a un impact positif sur la biodiversité (Nair, 2007). Face aux menaces qui pèsent sur la forêt tropicale et aux difficultés que connaît l’agriculture des pays en développement, l’agroforesterie est souvent citée comme une solution (Puig, 2001 ; Griffon, 2006 ; Hallé, 2010). Souvent, les arbres ont un impact majeur sur la diversification des productions et la résilience des systèmes de production agricole et peuvent jouer un rôle important en tant que « puits de carbone » et pour atténuer les effets du changement climatique (Verchot et al, 2007). On a montré en Europe que l’intégration d’arbres à faible densité (50 à 100 arbres par ha) dans des parcelles céréalières permet d’obtenir une rentabilité comparable à celle de l’agriculture conventionnelle (Dupraz et Liagre, 2008). De récents règlements français et européens incluent explicitement un soutien au développement de l’agroforesterie.
*soit dans une perspective « environnementale » ou écologique, par exemple nourrir des espèces patrimoniales rares ou en régression – s’il y a moins de papillons aujourd’hui en France qu’il y a 50 ans, c’est autant à cause du désherbage chimique que des insecticides.
 
  
 
==Références citées==
 
==Références citées==
*Bentley J.W., Webb M., Nina S., Pérez S., 2005. Even useful weeds are pests : Ethnobotany in the Bolivian Andes. ''Intl. J. Pest Managt.'', 51 (3): 189-207.
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*Baumer M., 1997. ''L’agroforesterie pour les productions animales''. Nairobi, ICRAF et CTA, Wageningen (Pays-Bas), CTA, 355 p.
*Chrestien de Lihus, 1804, ''Principes d’agriculture et d’économie, appliqués, mois par mois, à toutes les opérations du cultivateur dans les pays de grande culture''. Paris, An XII, 336 p. [http://www.archive.org/stream/principesdagric00lihugoog#page/n5/mode/1up Texte intégral] sur archive.org.
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*Bene J.G., Beall H.W., Côté A., 1977. ''Trees, Food and People: Land Management in the Tropics''. Ottawa (Canada): IDRC-084e.
*Dehérain P.P., 1892. ''Traité de chimie agricole''. Masson, Paris, 916 p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k77255x.r=.langFR Texte intégral] sur Gallica.
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*Cardot E., 1933. ''Manuel de l’arbre pour l’enseignement sylvo-pastoral dans les écoles''. Huitième édition, Touring-Club de France, 96 p.
*Diderot D., D’Alembert J. 1757. ''Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers'', t 7. [http://portail.atilf.fr/encyclopedie/ Texte intégral] sur le portail de l'ATILF.
+
*Dupraz C., Liagre F., 2008. ''Agroforesterie: des arbres et des cultures''. Paris, Editions France Agricole, 413 p.
*Diderot D., 1776. ''Supplément à l’Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers''. Rey, Amsterdam, t. 1, 926 p.
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*Dupriez H., de Leener Ph., 1993. ''Arbres et agricultures multiétagées d’Afrique''. Wageningen / Nivelles, CTA / Terres et vie, 280 p.
*Duhamel du Monceau, H.L., 1750 - ''Traité de la culture des terres, suivant les Principes de M. Tull, Anglois''. Vol. 1, Paris, XXXVI + 488 p. + figures.
+
*Eichhorn M., Paris P., Herzog F., Incoll L., Liagre F., Mantzanas K., Mayus M., Moreno G., Papanastasis V., Pilbeam D., Pisanelli A., Dupraz C. 2006. Silvoarable Systems in Europe : Past, Present and Future Prospects. ''Agroforestry Systems'', 67: 29-50.
*Gade D.W., 1972. Setting the stage for domestication : Brassica weeds in Andean peasant ecology. ''Proc. Ass. Am. Geog.'', 4 : 38-40.
+
*Griffon M., 2006. ''Nourrir la planète''. Paris, Odile Jacob, 456 p.
*Gade D.W., Morlon, Hibon A., Horton D., Tapia M., Tardieu F., 1992. Le rôle des herbes dites mauvaises : pistes de recherche. In : Morlon P. (coord.), ''Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes Centrales (Pérou-Bolivie)''. Inra, Versailles : 321-325. [http://www.quae.com/fr/livre/?GCOI=27380100604420 Description] sur le site des Éditions Quae.
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*Hallé F., 2010. ''La condition tropicale''. Arles, Actes Sud, 574 p.
*Gasparin A. (de), 1849. ''Cours complet d’Agriculture''. t. V., Paris, Librairie agricole de la Maison rustique, 638 p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411602x Texte intégral] sur Gallica.
+
*Lundgren B.O., Raintree J.B., 1982. Sustained agroforestry. In: Nestel B., (ed). ''Agricultural Research for Development: Potentials and Challenges in Asia''. ISNAR, The Hague, The Netherlands: 37-49.
*Guyot L., 1952. L’adventicité. In : Baconnier R., Glandard J. (dir), 1952. ''Nouveau Larousse agricole''. Larousse, Paris, 32-33.
+
*Mazoyer M., Roudart L., 2002. ''Histoire des agricultures du monde''. 2ème édition. Paris, Le Seuil, 566 p.
*Hill S.B., Ramsay J, 1977. Weeds as Indicators of soil Conditions. ''Ecological Agriculture Project'' Publication 67, University of Mc Gill, Montréal [http://eap.mcgill.ca/publications/EAP67.htm Texte intégral] sur le site de la revue ''Ecological Agriculture Projects''.
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*Michon G., De Foresta H., Levang P., Verdeaux F., 2007. Domestic forests: a new paradigm for integrating local communities’ forestry into tropical forest science. ''Ecology and Society'' 12(2): 1. [http://www.ecologyandsociety.org/vol12/iss2/art1/ Texte intégral] sur le site de la revue
*Mathieu de Dombasle C.-J.-A., [vers 1840] 1862. ''Traité d’Agriculture. Deuxième partie, Pratique agricole''. Edition posthume, Paris, Librairie agricole / Bouchard-Huzard, 456 p.
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*Nair P.K.R., 1993. ''An introduction to Agroforestry''. Kluwer Academic Publishers / ICRAF, 499 p.
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*Nair P.K.R., 2007. Agroforestry for sustainability of lower-input land-use systems. ''Journal of Crop Improvement'' 19 (1): 25-47.
 
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*Puig H. 2001. ''La forêt tropicale humide''. Paris, Belin, 448 p.
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*Torquebiau E., 2007. ''L’agroforesterie: des arbres et des champs''. Paris, L’Harmattan, 151 p.
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*Verchot L. V., Van Noordwijk M., Kandji S., Tomich T., Ong C., Albrecht A., Mackensen J., Bantilan C., Anupama K.V., Palm C., 2007. Climate change: Linking adaptation and mitigation through agroforestry. ''Mitigat. Adapt. Strateg. Global Change'' 12: 901–918.
  
 
==Pour en savoir plus==
 
==Pour en savoir plus==
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*[http://worldagroforestry.org/af/ ''World Agroforestry Centre''], Nairobi, Kenya
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*[http://circulaires.gouv.fr/pdf/2010/04/cir_30861.pdf Règlements] incluant un soutien au développement de l'agroforesterie
 
<references/>
 
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*[http://www.fondationdefrance.org/Nos-Aides/Vous-etes-un-organisme/Developpement-de-la-connaissance/Recherche-en-environnement/Quels-littoraux-pour-demain Appel à projets] de la fondation de France : Agroforesterie, financement de thèses et post-doctorats
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*[http://www.agroforesterie.fr/ Association Française d'Agroforesterie]
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*[http://agropeps.clermont.cemagref.fr/mw/index.php/Pratiquer_l%27agroforesterie L'agroforesterie sur le site AgroPeps], outil collaboratif d'information et d'échanges sur les techniques agricoles, du Réseau Mixte Technologique (RMT) Systèmes de culture innovants.
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* Fiche pratique [http://agropeps.clermont.cemagref.fr/mw/index.php/Pratiquer_l%27agroforesterie Pratiquer l'agroforesterie] sur le site d'Agro-Peps.
  
 
==Autres langues==
 
==Autres langues==
* Anglais : pas d'équivalent exact, le mot ''weed'' désignant toute plante sauvage jugée inutile. ''Volunteers'' désigne les repousses d’une culture précédente ; s'il s'agit de repousses en bordures, certains parlent de ''feral populations''.
 
*Allemand: ''Adventiv-''
 
 
Voir aussi [https://agrovoc.fao.org/browse/agrovoc/en/search?clang=fr&q=adventice adventice] dans Agrovoc.
 
  
 
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Version du 5 décembre 2016 à 18:20

Auteur : Emmanuel Torquebiau

Le point de vue de...
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Autres langues
Anglais : agroforestry
Espagnol : agrosilvicultura
Italien : policultura verticale
Portugais : agrosilvicultura (Portugal), sistema agroflorestal (Brésil)'
Informations complémentaires
Article accepté le 19 octobre 2010
Article mis en ligne le 5 novembre 2010


Définitions

D’après Nair (1993), c’est en 1977 que le mot agroforestry aurait fait son entrée dans la littérature scientifique. C’est alors un néologisme. Un groupe de forestiers tropicaux sollicités par le Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI, Canada) écrit dans un rapport qui fera date (Bene et al, 1977) que, pour sauver les forêts tropicales, il faut prendre en compte les pratiques des populations vivant à proximité et donner la priorité aux systèmes de production intégrant la foresterie, l’agriculture et l’élevage. Le terme « agroforesterie » est proposé pour illustrer cet enjeu. La définition qui en est donnée est la suivante : « Un système de gestion durable du sol qui augmente la production totale, associe des cultures agricoles, des arbres, des plantes forestières et / ou des animaux simultanément ou en séquence, et met en œuvre des pratiques de gestion qui sont compatibles avec la culture des populations locales ». Tout est dit. Les définitions qui suivront seront des variantes ou des simplifications de cet énoncé limpide et visionnaire. On y détecte – avant l’heure – la notion de durabilité. Le sol est l’objet de la première des attentions. La production est l’objectif de la démarche, mais elle doit être totale (comprendre : diversifiée) et le fait de pratiques locales (comprendre : pas le fait de décisions technocratiques). Le système associe (chaque mot est important !) cultures, arbres et animaux – dans cet ordre (noter la première place donnée aux cultures).

Un centre international de recherche en agroforesterie est créé à la fin des années 70 (ICRAF : International Centre for Research in Agroforestry, aujourd’hui le World Agroforestry Centre, Nairobi, Kenya). Son mandat initial est la diffusion des concepts de l’agroforesterie et la mise en œuvre de recherches en partenariat avec les pays en développement. Par souci de pragmatisme, il publie la définition suivante: « Le terme agroforesterie est une appellation générique pour les techniques et systèmes d’utilisation de la terre dans lesquels des ligneux pérennes sont utilisés de manière délibérée sur la même unité de gestion de la terre que des cultures agricoles ou de l’élevage, en disposition spatiale ou séquence temporelle ; il y a des interactions aussi bien écologiques qu’économiques entre les différentes composantes » (Lundgren et Raintree, 1982). Par rapport à la définition d’origine, on constate dans cette définition très technique l’arrivée du terme « ligneux pérennes » plutôt que « arbres », afin de permettre la prise en compte des arbustes, arbrisseaux, lianes, bambous et autres végétaux ligneux. Cette définition insiste par ailleurs sur le fait que des interactions sont nécessaires pour pouvoir parler d’agroforesterie. On comprend qu’il s’agit de faire le lien avec l’expression « de manière délibérée » utilisée plus haut dans la définition et exclure ainsi les cas où des arbres se retrouveraient par hasard dans une situation de proximité avec des cultures.

Le World Agroforestry Centre reformule la définition de l’agroforesterie au début du XXIe siècle et propose une version où apparaissent des critères environnementaux et de développement durable : « L’agroforesterie est un système dynamique de gestion des ressources naturelles reposant sur des fondements écologiques qui intègre des arbres dans les exploitations agricoles et le paysage rural et permet ainsi de diversifier et maintenir la production afin d’améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales de l’ensemble des utilisateurs de la terre ». Le paysage rural est ici pris en compte, précision qui a son importance en raison des nombreuses interactions écologiques entre arbres et cultures qui se manifestent au-delà de l’échelle de la parcelle, par exemple l’effet brise-vent ou le fait d’abriter des auxiliaires. On le voit, l’agroforesterie, approche holistique de la gestion de l’espace rural, peut être appréhendée de différentes manières. Si l’on s’en tient à la parenté de l’agroforesterie avec l’agriculture, la définition la plus concise qui ait été proposée est la suivante : « L’agroforesterie est la mise en valeur du sol avec une association (simultanée ou séquentielle) de ligneux et de cultures ou d’animaux afin d’obtenir des produits ou des services utiles à l’homme » (Torquebiau, 2007). On peut peut-être faire plus court : « L’utilisation d’arbres en synergie avec des pratiques d’agriculture ou d’élevage ».

L’agroforesterie en pratique

Faire de l’agroforesterie, c’est donc mettre des arbres dans les champs. L’idée peut surprendre et fera bondir plus d’un agriculteur, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Par exemple aligner des noyers dans un champ de céréales ; cultiver des légumes ou du café sous un couvert arboré ; entretenir des haies arbustives régulièrement espacées dans un champ ; transformer un jardin potager en jardin-forêt ; entourer les champs de haies pour former un bocage ; faire pâturer des animaux dans un pré-bois. L’étymologie du mot (agriculture et forêt) ne rend que partiellement compte de la réalité de l’agroforesterie : la « culture mêlée de forêt » n’est qu’un cas parmi d’autres, et pas le plus fréquent.

L’agroforesterie est une pratique très ancienne qui a plus ou moins résisté au temps selon les régions du monde. De nos jours, ce type d’agriculture fait encore vivre un milliard d’habitants des zones tropicales. Et, dans toutes les zones semi-arides de la planète, du Sahel à l’Asie centrale, les animaux des pasteurs nomades pâturent en terrain boisé ou consomment du brout, la partie tendre des arbres et arbustes.

L’agroforesterie est en effet omniprésente dans les pays tropicaux. Le système de culture le plus répandu en Afrique consiste à entretenir des arbres dispersés dans les parcelles et cultiver entre les arbres

Photo 1 : karités dans un champ de cotonniers. Diapaga, Burkina Faso. Photo © E. Torquebiau

. On appelle parfois ceci un parc agroforestier, ou de l’agriculture multi-étagée (Dupriez et de Leener, 1993). Les arbres qui s’y trouvent ont des usages multiples : bois, nourriture, médicaments, fibres, fourrage, résine, latex, tannin, etc. On en utilise les feuilles, le tronc, les fruits, mais aussi les racines, les branches, les fleurs. Dans ces champs, les arbres protègent le sol de l’érosion, en améliorent la fertilité, procurent de l’ombre aux plantes qui ne supportent pas le plein soleil ainsi qu’aux hommes et animaux domestiques, diminuent les effets néfastes du vent, retiennent l’humidité. Ils sont aussi un symbole de statut social et permettent de visualiser les limites des champs ou de marquer la propriété d’un terrain. L’agroforesterie tropicale, ce sont aussi les jardins-forêts, agroforêts et forêts plus ou moins domestiquées que l’on trouve dans de nombreux pays. Le café ou le gingembre, lorsqu’on les cultive sous des arbres d’ombrage, le poivre, la vanille

Photo 2 : Culture de vanille sur arbres supports (Glirricidia) et sous cocotiers, La Digue, Seychelles. Photo © E. Torquebiau

ou les ignames qui poussent grâce à un arbre support, les pâturages sous cocotiers ou en milieu forestier, sont autant de cas d’agroforesterie. Les espèces d’arbres fourragers se comptent par centaines; ils permettent notamment d’assurer l’alimentation des troupeaux pendant la saison sèche

Photo 3 : Arganiers dans les champs près d'Essaouira, Maroc. L'arganier est cultivé pour la production d'huile et fournit un fourrage apprécié des chèvres. Photo © E. Torquebiau

. L’agroforesterie est aussi présente dans l’agriculture multi-étagée des oasis, déjà remarquée par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle (1e siècle ap. J.-C.) Les exemples sont innombrables et témoignent de l’importance de l’arbre dans le quotidien des populations rurales des pays du Sud.

L’agriculture des pays industriels, quant à elle, a superbement éliminé l’arbre de ses préoccupations pendant la plus grande partie du XXe siècle, le laissant aux forestiers et arboriculteurs spécialisés, sous prétexte qu’il gêne les cultures, ne permet pas de faire de grandes parcelles et complique la mécanisation, notamment le labour. On connaît le résultat : la monotonie de nombreux paysages agricoles contemporains dépourvus de haies et où les champs complantés d’arbres ont disparu. Outre l’aspect esthétique, qui n’a rien d’universel, ces paysages sont souvent victimes d’érosion hydrique et éolienne et montrent des problèmes liés à la perte de biodiversité, en particulier la disparition des auxiliaires (insectes, oiseaux, etc.). Pourtant, certains se souviennent encore d’un temps pas si lointain (Cardot, 1933) où l’on enseignait l’équilibre agro-sylvo-pastoral dans les écoles. La tendance est en train de s’inverser, plus ou moins timidement selon les pays : au début de ce siècle, l’agroforesterie se fait une place en Europe, où l’on sait désormais produire du bois d’œuvre et des céréales sur une même parcelle (Dupraz et Liagre, 2008). Les haies rurales sont réhabilitées. Les Néo-zélandais et les Australiens sont passés maîtres dans l’art de l’élevage associé aux plantations forestières. Les arbres devraient bientôt reprendre la place qu’ils n’auraient jamais dû perdre dans la mise en valeur du sol par l’homme.

Il est cependant important de noter que l’association spatiale ou temporelle d’arbres et de cultures induit des interactions écologiques qui peuvent prendre des formes très variées. Ce sont des interactions de complémentarité favorables aux cultures qui sont recherchées lorsqu’on fait pousser ensemble, par exemple, des arbres d’ombrage avec des cultures tolérantes à l’ombre, ou des arbres dont les nodules bactériens racinaires fixent l'azote avec des cultures intercalaires. L’intégration d’arbres à faible densité dans des parcelles céréalières en culture intensive peut, elle, se révéler bénéfique pour les arbres par rapport à des conditions de croissance en plantation forestière. Des phénomènes de compétition peuvent néanmoins apparaître, comme par exemple lorsque les racines des arbres et des cultures sont en concurrence pour les réserves en eau du sol. L’excès d’ombrage ou la concurrence pour les nutriments du sol peuvent aussi avoir un effet négatif sur la croissance des cultures. Le choix du couple arbre - culture et les pratiques permettant de limiter la concurrence entre arbres et cultures (taille, élagage, date des semis, etc.) sont donc fondamentaux et l’agroforesterie ne peut pas s’improviser du jour au lendemain. Les recherches en agroforesterie sont confrontées aux contraintes de durée liées à la croissance des arbres, mais aussi à la présence de cycles différents entre les composantes des associations. Il est souvent fait appel à la modélisation (bio-physique et économique) qui permet de s’affranchir en partie de ces contraintes.

Typologie

La diversité des espèces végétales et animales utilisées par l’homme permet d’imaginer un nombre quasiment infini de combinatoires agroforestières ; il faut donc les classer pour en identifier les principaux types. La première nomenclature était fondée sur les trois composantes de base de l’association (arbres, cultures, animaux) et proposait trois catégories : agrosylviculture, sylvopastoralisme, et agrosylvopastoralisme, selon que l’on mélange cultures et arbres, arbres et animaux, ou cultures, arbres et animaux. Cette classification que l’on trouve encore dans certains documents n’est pas passée dans l’usage car la première catégorie (agrosylviculture, au demeurant synonyme d’agroforesterie) contient toutes les associations sans animaux, c’est-à-dire l’immense majorité des cas d’agroforesterie. Elle n’est donc pas discriminante. On y trouve côte à côte les agroforêts multistrates, les arbres d’étage supérieur en plein champ et les haies vives, types pourtant bien différents. D’autres critères de structure permettent d’aller plus loin dans la séparation des types agroforestiers. Les associations simultanées (composantes présentes en même temps, par exemple des arbres d’ombrage au dessus de cultures) sont différentes des associations séquentielles (composantes se succédant dans le temps, comme dans le cas des rotations). On peut différencier les associations ordonnées (arbres en ligne ou autre disposition géométrique) des associations mélangées (arbres dispersés de manière irrégulière dans les parcelles). Des critères liés à la principale fonction de l’association peuvent être utilisés, qu’il s’agisse d’une fonction de production (fruits, bois, fourrage) ou de service (protection du sol, brise-vents, arbres d’ombrage, entretien de la biodiversité).

La prise en compte de caractères structuraux facilement visibles permet de déterminer cinq grandes catégories agroforestières :

  • Les cultures sous couvert arboré, où de grands arbres dominent une culture sous-jacente
    Photo 4 : Cultures sous couvert arboré à Rosette, dans le delta du Nil (Égypte). Sous les palmiers dattiers, on trouve des arbres fruitiers (agrumes, oliviers) et des cultures maraîchères. Photo © E. Torquebiau
    . Ce sont les champs complantés d’arbres, souvent en lignes, les cultures dites « tolérantes à l’ombre », comme le café ou le cacao, cultivées sous des arbres d’ombrage, les cas où l’arbre sert de tuteur à une culture grimpante, et enfin les vergers à cultures associées. En Europe, de gros efforts de recherche ont été faits récemment, non sans succès, pour tenter de faire passer l’idée qu’on pouvait cultiver des arbres d’étage supérieur alignés dans les champs (Eichorn et al. 2006).
  • Les agroforêts et jardins agroforestiers
    Photo 5 : Jardin agroforestier à Kalimantan, Indonésie. Photo © E. Torquebiau
    , associations complexes et multistrates de nombreuses espèces pérennes et annuelles qui ressemblent à des forêts ou à des bosquets. Le jardin agroforestier est une variante du jardin potager dans laquelle les arbres ont une importance majeure, parfois jusqu’à faire disparaître les habitations sous leurs cimes. L’agroforêt stricto sensu est une authentique forêt cultivée, souvent très diversifiée, qu’elle soit plantée ou résultant de la domestication d’une forêt naturelle (Michon et al. 2007).
  • L’agroforesterie en disposition linéaire
    Photo 6 : Paysages de haies rurales, Costa Rica. Photo © E. Torquebiau
    regroupe tous les cas – fréquents – où les arbres apparaissent côte à côte et selon des alignements dans les champs ou le paysage rural. On y trouve les haies, autour ou dans les champs, les clôtures végétales, les alignements d’arbres brise-vent ou d’arbres servant à marquer le parcellaire. Le bocage, apparu en Europe vers la fin du Moyen Âge dans un contexte de croissance de la population et de développement de la propriété foncière, rentre dans cette catégorie.
  • L’agroforesterie animale (Baumer, 1997)
    Photo 7 : Arbre fourrager : chèvre broutant dans un arganier, Essaouira, Maroc. Photo © E. Torquebiau
    comprend les cas où une production fourragère est obtenue dans une parcelle arborée mais aussi les cas où il y a présence simultanée d’arbres et d’animaux, ces derniers pouvant consommer du brout (fourrage d’arbre) ou du fourrage herbacé. Quelques cas d’élevage d’animaux utiles (vers à soie, crustacés de mangrove) en association avec des arbres complètent cette catégorie.
  • L’agroforesterie séquentielle
    Photo 8 : « Jachère » agroforestière à Sesbania sesban, Chipata, Zambie. E. Torquebiau. Photo © E. Torquebiau
    correspond aux situations où arbres et cultures se succèdent dans le temps, comme les « jachères » arborées, l’agriculture itinérante et certaines plantations dites « en relais ».

Perspectives de l’agroforesterie contemporaine

Le renouveau de l’arbre dans les paysages ruraux ouvre d’immenses possibilités. Que ce soit en milieu tropical, hélas fréquemment contexte de pauvreté, ou dans le cas de l’agriculture industrielle des pays du nord, favoriser les associations entre arbres à usages multiples et agriculture permet notamment de contribuer à la qualité du sol (peu d’érosion, recyclage des nutriments, entretien de la fertilité, la structure et la biologie du sol), d’améliorer le cycle de l’eau (stockage de l’eau dans les plantes et le sol, effet sur le régime pluviométrique) et a un impact positif sur la biodiversité (Nair, 2007). Face aux menaces qui pèsent sur la forêt tropicale et aux difficultés que connaît l’agriculture des pays en développement, l’agroforesterie est souvent citée comme une solution (Puig, 2001 ; Griffon, 2006 ; Hallé, 2010). Souvent, les arbres ont un impact majeur sur la diversification des productions et la résilience des systèmes de production agricole et peuvent jouer un rôle important en tant que « puits de carbone » et pour atténuer les effets du changement climatique (Verchot et al, 2007). On a montré en Europe que l’intégration d’arbres à faible densité (50 à 100 arbres par ha) dans des parcelles céréalières permet d’obtenir une rentabilité comparable à celle de l’agriculture conventionnelle (Dupraz et Liagre, 2008). De récents règlements français et européens incluent explicitement un soutien au développement de l’agroforesterie.

Références citées

  • Baumer M., 1997. L’agroforesterie pour les productions animales. Nairobi, ICRAF et CTA, Wageningen (Pays-Bas), CTA, 355 p.
  • Bene J.G., Beall H.W., Côté A., 1977. Trees, Food and People: Land Management in the Tropics. Ottawa (Canada): IDRC-084e.
  • Cardot E., 1933. Manuel de l’arbre pour l’enseignement sylvo-pastoral dans les écoles. Huitième édition, Touring-Club de France, 96 p.
  • Dupraz C., Liagre F., 2008. Agroforesterie: des arbres et des cultures. Paris, Editions France Agricole, 413 p.
  • Dupriez H., de Leener Ph., 1993. Arbres et agricultures multiétagées d’Afrique. Wageningen / Nivelles, CTA / Terres et vie, 280 p.
  • Eichhorn M., Paris P., Herzog F., Incoll L., Liagre F., Mantzanas K., Mayus M., Moreno G., Papanastasis V., Pilbeam D., Pisanelli A., Dupraz C. 2006. Silvoarable Systems in Europe : Past, Present and Future Prospects. Agroforestry Systems, 67: 29-50.
  • Griffon M., 2006. Nourrir la planète. Paris, Odile Jacob, 456 p.
  • Hallé F., 2010. La condition tropicale. Arles, Actes Sud, 574 p.
  • Lundgren B.O., Raintree J.B., 1982. Sustained agroforestry. In: Nestel B., (ed). Agricultural Research for Development: Potentials and Challenges in Asia. ISNAR, The Hague, The Netherlands: 37-49.
  • Mazoyer M., Roudart L., 2002. Histoire des agricultures du monde. 2ème édition. Paris, Le Seuil, 566 p.
  • Michon G., De Foresta H., Levang P., Verdeaux F., 2007. Domestic forests: a new paradigm for integrating local communities’ forestry into tropical forest science. Ecology and Society 12(2): 1. Texte intégral sur le site de la revue
  • Nair P.K.R., 1993. An introduction to Agroforestry. Kluwer Academic Publishers / ICRAF, 499 p.
  • Nair P.K.R., 2007. Agroforestry for sustainability of lower-input land-use systems. Journal of Crop Improvement 19 (1): 25-47.
  • Puig H. 2001. La forêt tropicale humide. Paris, Belin, 448 p.
  • Torquebiau E., 2007. L’agroforesterie: des arbres et des champs. Paris, L’Harmattan, 151 p.
  • Verchot L. V., Van Noordwijk M., Kandji S., Tomich T., Ong C., Albrecht A., Mackensen J., Bantilan C., Anupama K.V., Palm C., 2007. Climate change: Linking adaptation and mitigation through agroforestry. Mitigat. Adapt. Strateg. Global Change 12: 901–918.

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