Une histoire de l'évapotranspiration - Annexe 5

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
21 mars 2017
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Cette annexe se rapporte à l'article Une histoire de l'évapotranspiration.

Trois mémoires de Risler (1869, 70, 71) sur l’évaporation du sol et des plantes (résumés et extraits).

Premier mémoire (1869)

Risler y traite une question non d’agronomie, mais d’hydrologie : quelle est la proportion des eaux de pluie qui ne va pas alimenter les sources et ruisseaux car évaporée à la surface du sol ou à travers les végétaux ? Pour cela, pendant 2 années consécutives, il compare à la pluie le débit des drains d’une pièce de terre d’1,23 hectare, de pente très faible, qui ne reçoit pas d'autres eaux que les eaux de pluie tombées directement sur sa surface et où « toute l'eau qui n'est pas évaporée est recueillie par les drains », sur sol d’argile glaciaire compact, dans sa propriété près de Nyon au-dessus du lac Léman. L’occupation de cette pièce est hétérogène : « en 1867, il y avait 2/5 de sa surface en pommes de terre, 2/5 en blé, 3/20 en luzerne et 1/20 en chemins qui déversent leurs eaux vers les drains. En 1868, il y avait 2/5 en blé, 2/5 en trèfle, 3/20 en luzerne et 1/20 en chemins ».

Ayant donné mois par mois les résultats en millimètres d’eau, c’est sur les totaux annuels qu’il calcule le pourcentage d’eau évaporée, après correction par la différence d’humidité du sol en fin d’année. « Pour faire les mêmes corrections mois par mois, il faudrait connaître les quantités d'eau renfermées dans le sol à la fin de chaque mois. Je n'ai pas fait ces déterminations avec assez de régularité pour pouvoir m'en servir. Je me borne donc à remarquer que l'évaporation a été, en général, plus forte pour les mois d'été et moins forte pour les mois d'hiver que le tableau l'indique. Cela est surtout vrai pour 1868, qui a eu un été plus chaud que 1867 ». Il discute ensuite ce pourcentage (qui se trouve être le même ces deux années-là, 70 %), en comparant avec une autre pièce également drainée mais plus inclinée et presque toute entière en gazon et luzerne ; il conclut par : « toutes ces plantes, blé, pommes de terre, luzerne, etc., ne puisent pas dans le sol, ni les mêmes quantités d'eau, ni aux mêmes époques de l'année ; par exemple, la luzerne donne encore deux coupes, quand déjà le blé a été moissonné. Quelle est la part qu'ont prise les plantes elles-mêmes dans l'évaporation comparativement à l'évaporation propre du sol ? Ces observations ne permettent pas de l'apprécier ».

Deuxième mémoire (1870)

En 1869, sur le même dispositif, Risler mesure à la fin de chaque mois l’humidité du sol pour produire des données mensuelles d’ « évaporation réelle ». L’année ayant été exceptionnellement sèche, il s’est évaporé 84 % de la pluie tombée, ce qu’il considère « comme maximum possible, ou comme très rapprochée du maximum possible, dans les conditions où les observations ont été faites ». Il discute du rôle des forêts sur l’alimentation des sources, à partir de mesures de l’humidité du sol fin août sous différentes occupations du sol.

« En 1869, le champ qui sert à mes observations a porté en partie du blé, en partie du trèfle, et sur le reste des pommes de terre. L'évaporation a donc dû y être plus active que si la surface était restée nue. Sur les 683,56 mm d’eau évaporée, quelle est la proportion qui a passé à travers les plantes et servi à l'alimentation des récoltes ? ». Après avoir calculé que la récolte enlevée du champ contient une quantité d’eau négligeable, il se base sur les chiffres de Lawes et Gilbert à Rothamsted en Angleterre : pour le froment, 225 g d'eau évaporée en moyenne par gramme de matière sèche produite, ce qui donne 102 mm transpirés ; « Le froment d'hiver est presque toujours assuré de trouver assez d'eau pour subvenir à ces besoins, parce que sa végétation la plus active se fait au printemps ». Des calculs analogues pour le trèfle donnent une transpiration de 176 mm pour le trèfle ; « La période de végétation, du moins celle qui fournit les deux coupes, dure de quatre à cinq mois; il faut donc au trèfle de 33 à 44 mm d'eau par mois. (…) nous sommes bien près de la limite que les pluies peuvent donner en été dans nos climats, et nous comprenons pourquoi il arrive quelquefois (…) que la deuxième coupe du trèfle manque ou est très-faible ».

« Pour nous rendre compte des recettes et des dépenses en eau de nos prés », en prenant comme base de calcul les chiffres de Marié-Davy, près de 7 mm évaporés par jour par un gazon arrosé, pendant une semaine très chaude de juillet, « nous trouverons que la première coupe de ces prés épuise ordinairement à peu près toutes les ressources que lui offrent les réserves de l'hiver et les pluies qui tombent du 15 avril au 15 juin. Le regain est chose précaire dans la région des vignes au sud de la Suisse » (…) On voit combien la production agricole de chaque pays dépend, non-seulement de la température et de la lumière, mais aussi de l'abondance et du mode de répartition des pluies qui y tombent ».

Pour déterminer le « maximum de sécheresse que les plantes peuvent supporter », il place, dans des conditions de forte évaporation (dans une serre aux vitres ouvertes) de gros pots de fleurs portant diverses espèces cultivées et dont il limite ou supprime les arrosages. A cinq dates durant l’été il note l’état des plantes et mesure l’humidité du sol et de l’air ainsi que la température maximale à l’ombre au-dehors de la serre. Les résultats « ne permettent pas d'indiquer avec une précision parfaite la limite de sécheresse que peuvent supporter les plantes observées. Cette limite parait varier avec l'état de l'atmosphère. Le 27 juillet ((sec et très chaud)), toutes les plantes, sauf la pomme de terre, avaient des feuilles flasques et pendantes. Le 5 août ((humide et doux)), l'avoine, le sarrasin et le maïs avaient repris un aspect très-vigoureux, et cependant la terre était plus sèche le 5 août que le 27 juillet. La limite varie également avec la période de développement dans laquelle se trouvent les plantes ».

Sous le titre « Maximum d'humidité renfermée dans le sol », il constate enfin que, même à leur maximum d’humidité, des échantillons de terre en place contiennent beaucoup moins d’eau que ce que les méthodes habituelles d’agronomie indiquent après remaniement.

Troisième mémoire (1871)

La différence entre pluie et drainage, calculée dans les travaux précédents, « comprend à la fois l'eau évaporée directement par le sol et l'eau évaporée ou transpirée par l'intermédiaire des plantes ». L’objectif des travaux exposés ici est de ne mesurer que la transpiration des plantes. Pour cela, Risler utilise les méthodes employées avant lui par d’autres, « et, comme chacune d'elles a certains avantages et certains inconvénients particuliers, j'ai corrigé les résultats des unes par ceux des autres ».

« 1. Les plantes à observer végètent dans des vases arrangés de manière à ce qu'il ne puisse en sortir de l'eau que par ces plantes ». Mais l’absence de drainage fait périr la plupart des plantes par excès d’eau.

« 2. Dans la seconde méthode, les vases ne sont pas couverts comme dans la première. Outre la transpiration des plantes, il y a évaporation directe du sol que l'on cherche à déterminer en pesant un ou plusieurs vases qui ne contiennent pas de plantes ». « Mais il y a une cause d'erreur : une plante à large feuillage empêche jusqu'à un certain point l'évaporation directe du sol qu'elle recouvre. Ce procédé doit donc donner des quantités trop faibles ; c'est à tel point que si le vase contenait assez de plantes pour former à la surface un tapis continu de feuilles, on pourrait considérer l'évaporation directe du sol comme complètement nulle ».

« Les résultats donnés par ces deux premières méthodes ne sont pas tout à fait comparables à ce qui se passe dans les champs où nos plantes cultivées trouvent ordinairement un plus grand volume de terre pour y étendre leurs racines ; l'alimentation y est moins régulière; la terre est saturée d'eau chaque fois qu'on vient de l'arroser; cependant elle se dessèche très-vite, et les plantes des pots ont l'air fané, tandis que des plantes semblables en pleine terre conservent toute leur fraîcheur ».

« 3. La troisième méthode peut s'employer pour les plantes en pleine terre, mais les feuilles ne restent pas comme dans les précédentes à l'air libre ; on enferme soit une simple feuille, soit une branche, soit la plante tout entière dans un tube, un flacon ou un globe de verre fermé par un bouchon fendu en deux, après avoir été percé dans son centre de manière à pouvoir entourer la tige » ((comme Guettard ou Dehérain)). « On pourrait croire que, dans l'espace bientôt saturé de vapeur d'eau où se trouvent les feuilles, l'évaporation s'arrêtera au bout d'un certain temps. Il n'en est rien ; l'évaporation continue. (…) On pourrait croire également que la transpiration est beaucoup plus grande dans ces tubes ou flacons qu'à l'air libre. Mais on verra, en comparant les résultats de cette méthode à ceux des premières, que cela n'est pas. Si la chaleur est plus forte dans les tubes qu'à l'air extérieur, elle tend à accroître la transpiration, mais la vapeur d'eau y est également plus abondante et tend à la diminuer. D'ailleurs cette vapeur d'eau agit elle-même sur la température et l'empêche de s'élever outre mesure. » Soit : il y a de nombreux biais, mais ceux-ci doivent bien se compenser !

« 4. Les observations météorologiques régulières faites depuis 1866 dans ma propriété de Calèves, et des notes sur l'état de mes récoltes m'ont permis de contrôler les résultats des expériences que je viens de décrire. Quand une récolte souffre du sec, elle a consommé toutes les eaux de pluie qui sont tombées depuis qu'elle a commencé à végéter, ou du moins toutes celles qui sont tombées depuis un certain temps, et en divisant la quantité d'eau que le pluviomètre a indiquée pendant cette période par le nombre de jours, on obtient le minimum de la consommation par jour de cette récolte. Quand les plantes montrent au contraire qu'elles souffrent par un excès d'humidité, on obtient le maximum de leur consommation d'eau. L'évaporation comprend non-seulement celle des plantes elles-mêmes, mais celle du sol dans lequel elles végètent. (…) Le jaugeage de mes drains m'a donné les quantités d'eau perdues pour la végétation (…) ».

« Voici les conclusions que l'on peut tirer des expériences qui précèdent : Je n'ai jamais pu constater une absorption de vapeur d'eau de l'air par les feuilles (…) au contraire, pendant la nuit la plupart des plantes transpirent un peu, mais très-peu. (…) Toutes les plantes évaporent plus au soleil qu'à l'ombre. (…) Il y a une action directe de la lumière indépendante de la chaleur, ou du moins le pouvoir de faire transpirer les plantes n'est pas proportionnel au pouvoir de dilater le mercure du thermomètre. (…) Je n'ai pu constater aucune variation de la transpiration avec l'humidité ou avec l'agitation de l'air. Si ces rapports existent, comme on l'a affirmé, ils sont ordinairement effacés par les autres. (…) Après la lumière et la chaleur extérieure, c'est l'humidité de la terre qui a le plus d'influence. A la suite des pluies ou des arrosements, la transpiration augmente et diminue graduellement à mesure que la sécheresse augmente, toutes les autres circonstances étant supposées égales d'ailleurs. (…) ».

Risler tire de ses expériences la transpiration moyenne par heure et par décimètre carré de surface foliaire ; « mais il peut y avoir des écarts considérables, tantôt en plus, tantôt en moins autour de ces moyennes, suivant l'âge des plantes et les conditions météorologiques où elles se trouvent placées ». Ainsi les séries d'expériences I et II ont donné des chiffres souvent très supérieurs ; « mais ces chiffres sont des maxima qui s'obtiennent rarement dans la grande culture ; ils supposent une irrigation abondante et une chaleur, accompagnée de lumière, très-grande.

Pour passer de là à la transpiration moyenne par hectare, il fallait déterminer la surface des feuilles qui couvrent un hectare ou du moins un mètre carré. J'ai fait un certain nombre de ces déterminations. (…) On voit dans quelles proportions souvent énormes la végétation augmente la surface d'évaporation de la terre ! (…) Il faut remarquer que, dans un champ de blé, de maïs-fourrage et de trèfle très-épais, comme dans une forêt touffue, les feuilles supérieures font ombre aux feuilles inférieures, et par conséquent diminuent leur transpiration. Je ne crois pas que la surface réellement active du feuillage dépasse jamais 8 à 10 mètres ((carrés)) par mètre carré de terre. (…)

En me servant des données qui précèdent et les corrigeant d'après les observations faites dans les cultures ((pluies moins drainage)), j'arrive aux chiffres suivants pour la consommation moyenne quotidienne des plantes, en mm d'eau :

Luzerne 3,4 à 7 mm.
Prairies 3,14 à 7,28
Avoine 2,9 à 4,9
Fèves plus de 3
Maïs 2,8 à 4
Blé 2,67 à 2,8
Trèfle 2,86
Seigle 2,26
Vigne 0,86 à 1,3
Pomme de terre 0,74 à 1,4
Sapin 0,5 à 1,1
Chêne 0,45 à 0,8

En comparant aux pluies les consommations d’eau que ces chiffres représentent, Risler réfute l’absorption d’eau atmosphérique par les feuilles et montre toute l’importance pratique de la réserve d’eau du sol accumulée en hiver. A partir de ses chiffres, il en discute les conséquences pour la luzerne, le blé, l’avoine, le maïs, la vigne et les prairies.

Pour les prairies, « Dans mes expériences de 1871, une surface de 2 dm2 en gazon très-épais de rye-grass anglais, a consommé en 39 jours, du 25 juillet au 3 septembre, 5621 g d'eau pour produire 9 g de matière séchée à 100°. Cela fait par hectare 281 mm de hauteur d'eau pour produire 4500 kg de substance complètement sèche ou (comme le foin contient ordinairement encore 15 % d'eau) 5175 kg de foin, soit 545 kg d'eau pour produire 1 kg de foin. C'est une consommation de 7 mm de hauteur d'eau par jour, chiffre qui coïncide avec ceux qu'ont trouvé Schübler et Marié-Davy dans des conditions analogues. Ces conditions sont celles d'une prairie abondamment pourvue d'eau dans la saison la plus chaude de l'année. Les jours où le ciel était couvert, l'air humide et par contre la terre un peu sèche, l'évaporation se réduisait au quart de la moyenne, c'est-à-dire, à l'équivalent de 1,4 mm.

Dans la région des vignobles du sud de la Suisse et en Savoie, les prés commencent à verdir quelquefois à la fin de mars, et le plus souvent dans les premiers jours d'avril ; la fenaison commence avec le mois de juin. C'est donc pendant les mois d'avril et de mai que se fait la croissance de l'herbe. Or, voici quelles ont été à Calèves les récoltes en foin et les quantités de pluies et de chaleur pendant ces deux mois dans les six dernières années :

((tableau réduit ; les trois dernières colonnes indiquent les températures moyennes à l'ombre) :

ANNÉES RÉCOLTE de foin par ha, kg PLUIE mm en avril et mai LES DRAINS cessent de couler avril mai 2 mois
1866 4350 242 fin mai 12,42 13,70 13,06
1867 3800 256 fin mai 10,67 13,11 11,89
1868 3200 108 fin mai 9,00 18,72 13,86
1869 3100 160 fin mars 10,80 15,67 13.23
1870 1450 32 fin mars 9,8 16,2 12,96
1871 3350 98 fin avril 11,2 13,91 12,46

Ainsi, il a fallu en moyenne 438 kg d'eau de pluie pour 1 kg de foin. Les récoltes dépendent plus de la quantité de pluie que de la chaleur ». Pour les mêmes années, il compare les récoltes de regain aux pluies d’été (juin, juillet et août), « C'est à peu près 3 kg de regain par mm de pluie.

En comparant ces coefficients de la production des fourrages avec les quantités moyennes de pluie qui tombent au printemps et en été dans les diverses contrées de l'Europe, on peut trouver des résultats fort intéressants au point de vue agricole. Quand la pluie ne suffit pas, on irrigue. Or, la quantité d'eau la plus faible que l'on emploie pour les irrigations est, en Lombardie, 1 litre par seconde et par hectare, c'est-à-dire par jour une hauteur de 8,64 mm, à peu près de quoi suffire à la transpiration que mes expériences ont constatée ». Revenant à sa question initiale d’hydrologie, Risler termine en discutant le rôle des forêts (à partir des chiffres cités plus haut pour le sapin et le chêne).

Références

  • Risler E., 1869. Sur l’évaporation du sol. Bibliothèque universelle et Revue Suisse, Archives des sciences physiques et naturelles, Genève, Lausanne, Neuchâtel, t. 36 : 27-33.
  • Risler E., 1870. Évaporation du sol et des plantes. 2me mémoire. Bibliothèque universelle et Revue Suisse, Archives des sciences physiques et naturelles, Genève, Lausanne, Neuchâtel, t. 37 : 214-228.
  • Risler E., 1871. Recherches sur l’évaporation du sol et des plantes. Troisième mémoire. Bibliothèque universelle et Revue Suisse, Archives des sciences physiques et naturelles, Genève, Lausanne, Paris, t. 42 : 220-263.
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