Différences entre les pages « Blé » et « Charrue, historique et fonction »

De Les Mots de l'agronomie
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{{Note de haut de page
|titre 1=Avertissement
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|titre 1=Note
|note 1=Cet article ne comporte pas de paragraphe « Définition », car il ne traite que de l’histoire de la définition ou acception du mot. Il devra être complété par d’autres sur le blé tendre ou froment, le blé dur, le « blé noir » ou sarrasin, et leur culture.
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|note 1=Cet article sera complété par (au moins) un autre article sur l’[[évolution des charrues au XXe siècle]].
 
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'''<big>''Auteur'' : [[A pour auteur::Pierre Morlon]]</big>'''<br/>
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<big>''Auteur'' : '''[[A pour auteur::François Sigaut]]'''</big><br/>
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{{Infobox article
 
{{Infobox article
|Anglais=corn '';'' wheat ''désigne le froment'
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|Anglais=plough ''(GB),'' plow  ''(USA)'
|Allemand=Weizen
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|Allemand=
|Espagnol=trigo
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|Espagnol=arado
|Annexe 1=Le concept de céréale évolue
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|Annexe 2=
 
|Annexe 3=
 
|Annexe 3=
 
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|Annexe 4=
|Article 1=Assolement
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|Article 1=Araire
|Article 2=Blé dur
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|Article 2=Labour
|Article 3=Céréale
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|Article 3=Travail du sol
|Article 4=Emblaver
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|Date d'acceptation=1 juillet 2010
|Article 5=Froment
 
|Article 6=Menus grains
 
|Article 7=Sarrasin
 
|Article 8=
 
|Date d'acceptation=19 avril 2010
 
 
|Mise en ligne=9 septembre 2010
 
|Mise en ligne=9 septembre 2010
 
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__NOTOC__
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==Définition==
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''(Texte retiré provisoirement, car en cours de modification)''
  
{{Citation dictionnaire
 
|texte citation = BLED. Plante connue de tout le monde, & qui porte le grain destiné à faire du pain. Il y en a de plusieurs sortes : le Froment, le Seigle, le Bled méteil, le Bled de Turquie, l’Orge, l’Avoine, ces deux derniers s’appellent des Mars ; le bled noir, le bled sarrazin
 
|italiques = non
 
|référence citation = [[A pour personne citée::Pons-Augustin Alletz|Alletz]], 1760 : 121-122
 
}}
 
 
==Des ble(d)s au blé==
 
De nos jours, le mot blé, dont froment est un synonyme poétique ou commercial, désigne l’espèce dont on fait le pain ({{TaxonNCBI|4565|''Triticum aestivum''|aller au NCBI|Triticum aestivum}} pour les intimes), ainsi que ses cousines : le blé dur dont on fait les pâtes et le couscous ({{TaxonNCBI|4567|''Triticum durum''|aller au NCBI|Triticum durum}}), l’épeautre ({{TaxonNCBI|58933|''Triticum spelta''|aller au NCBI|Triticum spelta}} ou ''Triticum aestivum ssp. spelta''), l’engrain ou petit épeautre ({{TaxonNCBI|4568|''Triticum monococcum''|aller au NCBI|Triticum monococcum}}), l’amidonnier ({{TaxonNCBI|49225|''Triticum dicoccum''|aller au NCBI|Triticum dicoccum}})... On appelle aussi blé noir le [[sarrasin]] dont les crêperies bretonnes font les galettes ({{TaxonNCBI|3617|''Fagopyrum esculentum''|aller au NCBI|Fagopyrum esculentum}}), ce qui est bien incohérent tant il est botaniquement éloigné : c’est une dicotylédone, alors que les ''Triticum'' sont des monocotylédones.
 
 
Cet usage actuel résulte d’une histoire longue et complexe (pour l’origine du mot, voir Quemada, 1983 ; Rey, dir., 1992, t. 1 : 231 et 2005, t. 1 : 954-955).
 
 
Au Moyen Âge et à la Renaissance, le mot ''bleds'', le plus souvent au pluriel, et sous diverses orthographes (bleds, bledz, bleedz, blees, bleetz, bleez, blés, bletz, blez, bleiz, blye, blefs...), désigne les cultures annuelles et les terres labourées qui les portent - catégorie placée sur le même plan que les prés, les vignes, les vergers, les bois et les « eaux ».
 
 
Ainsi, en Angleterre à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle (quand les Normands y parlaient français), l’auteur anonyme de la ''Seneschaucie'' écrit « Le surveillant (...) doit à toute heure surveiller et faire le tour des bois, et garder les blés, et les prés, et toutes autres choses de son bailliage » (''« Le hayward (...) deit tard e tempre espier, e environer, e garder lez boys, e lez blez, e lez prez, e tute les autre choses ke touchent sa baillie »''). En ce sens, il utilise ''blés'' indifféremment avec ''terres'' (terres labourées). Trois siècles plus tard en Ardèche, [[A pour personne citée::Olivier de Serres]] donne une liste du même ordre : « C'est du fumier d'où procède cette grande fertilité recherchée par tous les mesnagers, faisant produire à la terre toute abondance de biens, car bleds, vins, foins, fruits des jardins & des arbres par le fumier viennent richement. » (1605 : 97) ; ailleurs (p. 72), il met en balance deux utilisations du sol, l’une qu’il nomme prairie, herbage ou foin, et l’autre, labourage ou ''bleds''.
 
 
Ces blés (terres labourées) sont ainsi nommés parce qu'ils portent des blés (plantes cultivées) :
 
« Il faut qu’un Fermier ait un Maître-Valet pour commander aux autres, & veiller à ce qu’ils s’acquittent tous bien de leur devoir (…). C’est à lui à les employer aux Champs, aux Bois, au Labourage ; à faire faire & recueillir les Moissons dans le temps ; faire faire les foins, & avoir soin des Prairies ; bien faire fumer les terres, qui se peuvent fumer avant que de les labourer ; leur donner après toutes les façons nécessaires ; bien faire semer les bleds ; & que chacun ne manque de rien suivant son espèce. » (Rosny, 1710 : 16-17).
 
  
Quelles [[espèce]]s ? L’expression fréquente « ''tutz manere de blez'' » ([[A pour personne citée::Gautier de Henley|Henley]], ''ca''. 1280), « toutes sortes de bleds » ou « de tout autre bled, même des légumes » (O. de Serres, 1605 : 63, 69, 79, 107…) les dit nombreuses !
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==Historique du mot ==
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Le mot « charrue » vient du bas-latin ''carruca'', qui comporte la notion d’un avant-train à roues. C’est un mot qui appartient aux dialectes septentrionaux de la France, les dialectes méridionaux employant plutôt un dérivé du latin classique ''aratrum'', comme le provençal ''araïre''. Au XIX<sup>e</sup> siècle, le mot [[araire]] est passé dans le vocabulaire des [[agronome]]s pour désigner les charrues sans avant-train. Mais depuis la parution de ''L’Homme et la charrue'' d’[[A pour personne citée::André-Georges Haudricourt|Haudricourt]] et Jean-Brunhes Delamarre (1955), qui ont montré que l’avant-train n’était pas le critère essentiel de distinction entre araires et charrues, cet usage a pratiquement disparu. Il est d’ailleurs devenu sans objet, puisque depuis la généralisation du tracteur, toutes les charrues ont désormais un avant-train qui est le tracteur lui-même.
  
Vers 1275, la ''Seneschaucie'' anonyme les détaille ainsi : « Et de là il peut savoir combien de froment, de seigle, d’orge, de pois et de fèves, et combien de dragée et d’avoine on doit par raison semer en chaque acre » (''« E partaunt poet il saver cumbien de furment, de segle, de orge, de poys e de feves, e cumbyen de dragge e de aveynes lem deit par reison semer en checune acre »''), et exige ailleurs que les ''blés'' soient bien et proprement ''sciés'' (récoltés avec une faucille dentée), battus et ''ventés'' (vannés). Donc des cultures dont on récolte les grains, ce que confirme Olivier de Serres : « ''Sur quoi est à noter, que ce mot Bled, (...) est pris généralement pour tous grains jusques aux légumes, bons à manger. Et celui de Froment, (...) être un peu plus particulier, comprenant néanmoins toutes sortes de grains à faire pain pour la nourriture des hommes, qui sont ceux qu'aujourd'hui nous appelons, Froments, Épeautres, Seigles, Orges, Millets & Avoines.'' » (1604 : 106).
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==Historique de l’instrument==
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La charrue proprement dite est définie par l’existence d’un versoir qui rejette la terre soulevée par le soc sur un des côtés ; l’instrument doit donc avoir donc une structure dissymétrique, ce qui l’oppose à l’araire. Il n’existe que dans deux régions du monde : la Chine et l’Europe. En Chine toutefois, les charrues traditionnelles n’avaient ni coutre ni avant-train, et si on a d’assez nombreuses descriptions de l’instrument lui-même (Needham & Bray, 1984), on en a beaucoup moins de son mode d’action dans le sol. Tant que cette lacune ne sera pas comblée, il sera impossible de répondre aux nombreuses questions qui se posent à son sujet.
  
De fait, pendant longtemps, les termes ''bled'' et ''grain'' ont été presque synonymes, comme en témoignent ces définitions :
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En Europe, la charrue fait son apparition quelque part entre le Pô, la haute vallée du Danube et celle du Rhin vers le début de notre ère. La date exacte est controversée, mais elle se situe entre le I<sup>er</sup> et le VI<sup>e</sup> siècle de notre ère. Un passage de l’''Histoire naturelle'' de [[A pour personne citée::Pline l’Ancien]], à la fin du I<sup>er</sup> siècle, mentionne explicitement le coutre, les roues, et « un soc large qui renverse les gazons », ce qui s’applique assez bien au versoir. Un travail récent de Marbach (2004) sur les vestiges de coutres et de socs en Gaule Belgique a confirmé l’existence de charrues gallo-romaines dès le II<sup>e</sup> siècle.
  
{{Citation dictionnaire
+
==Araire et charrue - Rôle spécifique et répartition géographique de la charrue==
|texte citation = BLÉ, plante qui produit dans son épi une graine qui est la principale nourriture de l’homme. Il y a plusieurs sortes de grains compris sous ce nom ; car on dit le ''Blé froment'' ; le ''Blé méteil'', ''petit Blé'', ''Blé maigre'', qui est le seigle ou celui où il n’y a guère de froment ou dont le grain est mal nourri. On dit petits Blés, les autres grains qu’on sème au mois de Mars, comme l’Orge, l’Avoine, les Pois, les Vesces, ce qu’on appelle aussi en général les ''Mars'', & en quelques endroits les trémois. On dit ''Blé de Turquie'', ''Blé noir'', ''Blé sarrasin''. Il faut voir à la Lettre de chaque Blé comment il se cultive & se multiplie.
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On continue à lire dans de nombreux ouvrages que la charrue est une forme perfectionnée de l’[[araire]], que celui-ci ne fait que « gratter », « égratigner » le sol, alors que la charrue permet de faire des [[labour]]s plus profonds, plus complets, etc. Tout cela est faux. C’est le résultat d’une méconnaissance générale de la complexité des anciens modes de travail du sol, où araires et charrues, dont il existait d’ailleurs des modèles très divers, remplissaient des fonctions différentes et complémentaires. Il n’y avait pas « un » labour mais plusieurs, au moins trois et souvent bien davantage, chacun d’eux avec ses spécifications propres (voir [[jachère]]). C’est pourquoi il y avait en général plusieurs modèles de charrues et d’araires dans une région donnée. Lorsqu’il n’y en avait qu’un seul (le cas n’est pas fréquent), c’est qu’il existait des dispositifs permettant d’ajouter ou d’enlever facilement tel organe (coutre, versoir, 2<sup>e</sup> versoir) ou de modifier profondément les réglages, etc.
|italiques = non
 
|référence citation = ''Dictionnaire pratique'', [[A pour personne citée::Louis Liger|Liger]], 1715, t.1 : 88
 
}}
 
  
{{Citation dictionnaire
+
L’hypothèse la plus vraisemblable sur l’origine de la charrue est qu’il s’agissait initialement d’un instrument destiné au labour des [[gazon]]s (Sigaut, 1972, 1975, 2004). La notion de gazon n’a pas la place qui devrait lui revenir en [[agronomie]]. Un gazon, au sens premier du terme, c’est un morceau de terre enherbée que le chevelu des racines rend mécaniquement beaucoup plus résistant que le même morceau de terre nue, auquel est réservé proprement le nom de [[motte]] : sauf dans le cas de certaines argiles particulièrement tenaces, les mottes se brisent sous le choc, pas les gazons, et quiconque a manié tant soit peu la [[Bêche, bêchage|bêche]] a vite appris que travailler une terre gazonnée demande beaucoup plus d’efforts et de temps qu’une terre nue. L’observation est si courante que toutes les langues européennes, et beaucoup d’autres, ont deux mots différents pour exprimer l’opposition motte / gazon (le latin a ''gleba / caespis''). Et ce n’est sans doute pas un hasard si, dans le passage cité plus haut, Pline parle de gazons et non de mottes (''latitudo vomeris <u>caespites</u> versat'').
|texte citation = GRAIN, terme d’Agriculture, qui se dit principalement des fruits ou semences qui viennent dans des épis & qui servent à nourrir les hommes & les bêtes. Sous ce mot de grain, on entend le Froment, le Seigle, le Maïs, le Sarrasin, le Panil, l’Orge, le Millet, l’Avoine, le Lin, & le Chènevis.
 
|italiques = non
 
|référence citation = ''Dictionnaire pratique'', [[A pour personne citée::Louis Liger|Liger]], 1715, t.1 : 421
 
}}
 
  
Presque synonymes, mais pas tout à fait, car ni les oléagineux ([[lin]], chènevis), ni les graines utilisées seulement en alimentation animale (vesce) n’étaient des blés. '''<u>Blé</u> désignait ainsi toute plante cultivée donnant des graines pouvant être réduites en farine utilisable en alimentation humaine'''.
+
Dans cette perspective, le coutre et l’avant-train s’expliquent assez bien. En sol gazonné, la nécessité du coutre est trop évidente pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Quant à l’avant-train, son utilité est de réaliser un réglage en largeur et surtout en profondeur particulièrement rigoureux, qui répond aussi à une nécessité du labour en sol gazonné. La plupart des araires sont équipés d’un soc pointu qui travaille comme un coin en soulevant et en éboulant la terre, nue ou faiblement enherbée. Un réglage en profondeur est certes nécessaire, mais il n’a pas besoin d’être très précis ; que l’araire « pique » un peu plus ou un peu moins, dans certaines limites, n’a pas de gros inconvénients. Il en va tout autrement en sol gazonné, pour deux raisons. La première est qu’il est indispensable, pour la bonne organisation du travail, que les dimensions de la tranche de terre soient aussi constantes que possible d’un bout du [[rayage]] à l’autre. La seconde est que comme le soc travaille à plat, en largeur, tout dépassement intempestif de profondeur imposerait à l’attelage des efforts superflus et épuisants. À quoi il faut ajouter le fait que pour obtenir une décomposition aussi rapide que possible de la couche gazonnée, le labour doit être superficiel (5-10 cm) plutôt que profond. Or c’est précisément pour des labours superficiels qu’un réglage particulièrement précis, tel que l’avant-train le permet, est nécessaire. Dans l’Europe non méditerranéenne, la charrue est en général l’instrument des premiers labours, parce qu’une terre qui n’a pas été travaillée depuis assez longtemps est toujours plus ou moins gazonnée. Ces premiers labours doivent être peu profonds. Les labours plus profonds viendront ensuite, et suivant les régions et les circonstances, ils seront faits à la charrue ou à l’araire.
  
{{Citation dictionnaire
+
En résumé : la charrue n’est pas un instrument plus perfectionné ou plus performant que l’araire. Les deux instruments ont leurs domaines respectifs d’efficacité. L’araire est adapté à des sols nus ou faiblement gazonnés, qui tendent à s’ébouler facilement pendant ou après le passage de l’instrument. La charrue est adaptée à des sols gazonnés, ou qui pour d’autres raisons (texturales ?) tendent à conserver une forte cohésion. C’est en tous cas en prenant en compte cette différence qu’on peut comprendre, 1° pourquoi la charrue ne s’est jamais véritablement implantée dans les régions méditerranéennes, et 2° pourquoi l’araire est resté indispensable jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle dans de nombreuses régions de l’Europe du Nord qui connaissaient la charrue depuis longtemps. Dans ces régions, la disparition de l’araire sera liée, non aux perfectionnements apportés aux charrues proprement dites, mais au développement des instruments de [[pseudo-labour]].
|texte citation = ...car de ce mot ''Far'', est venue la farine, comme voulant dire, celle-ci être la seule espèce de Bled produisant chose tant précieuse & nécessaire : bien qu'elle se tire de tout autre bled, même des légumes ; tous grains indifféremment faisant farine.
 
|italiques = non
 
|référence citation = [[A pour personne citée::Olivier de Serres|O. de Serres]], 1605 : 107
 
}}
 
 
 
{{Citation dictionnaire
 
|texte citation = FROMENT, bled, le meilleur & le plus gros de tous les grains, qui fait la farine la plus blanche.
 
|italiques = non
 
|référence citation = ''Dictionnaire pratique'', [[A pour personne citée::Louis Liger|Liger]], 1715, t.1 : 382
 
}}
 
 
 
Donc non seulement ce que nous appelons maintenant blé (genre ''Triticum'') et qui s’appelait froment, mais des plantes appartenant à des familles botaniques diverses : graminées ou Poacées (froment, [[orge]], [[seigle]], [[avoine]]...), polygonacées (sarrasin appelé blé noir ou de Barbarie), légumineuses ou fabacées ([[pois]], [[fèves]], [[lentilles]]). Lorsqu’il a été introduit en France vers 1600, le [[maïs]] a été nommé « blé de Turquie », appellation d’origine non contrôlée qui a aussi désigné d’autres espèces (gros [[millet]]). C’est ainsi que, Boisguilbert ayant évalué vers 1700 la production de blé en France à près de deux millions de muids par an, son éditeur en 1843 met en note : « A ce compte, la production actuelle du blé en France ne dépasserait guère celle du commencement du dix-huitième siècle, il est probable que l'auteur a compris, dans cette évaluation, le seigle et les autres grains propres à la nourriture de l'homme. » ([1707] 1843 : 374).
 
 
 
Leur saison de semis distinguait ces différents ''bleds'' : « Les terres qu'on ensemence de bleds hivernaux, seront fumées dès l’Automne ; & dès l’Hiver celles où l'on désire mettre des bleds printaniers » (O. de Serres ; 1605 : 98, cf. p. 74, 79). « Les terres s’ensemencent de plusieurs sortes de grains ; savoir, de froment, seigle, ou méteil, qui sont les semences d’Automne, & pour les ''Mars'' ou ''petits bleds'', il y a l’avoine, l’orge, les pois les lentilles, le bled de Turquie, le bled sarrasin autrement dit bled noir, & le froment de Mars. (…) on appelle ''gros grains'' les bleds qui servent à la nourriture de l’homme, & qui se sèment en Automne, comme le seigle, le méteil & le froment, & les menus grains, ceux qui servent à nourrir les animaux, comme l’orge, l’avoine, les pois, la vesce, qui se sèment en Mars.» (Liger, 1715 : 287 & 421). Aux termes ''blé hivernal'' et ''blé printanier'', on préférait souvent des synonymes : ''gros bled'' ou ''gros grain'' pour ceux d’hiver ; et ''petit bled'', ''[[menus grains]]'', ''[[mars]]'', ''[[carême]]s'' ou ''[[trémois]]'' (semés en mars, temps de carême, et récoltés trois mois plus tard) pour ceux semés au printemps, l’année suivante. En effet, la saison de semis correspondait à la place dans la rotation, dans les [[Assolement, rotation, succession, système de culture : fabrication d’un concept, 1750-1810|assolements]] triennaux : « C’est ainsi que les terres, qui la première année ont rapporté du gros bled, c’est-à-dire du froment, du méteil ou du seigle, se sèment en petits bleds la deuxième année, parce qu’elles ne sont pas capables de produire de nouveau des premiers, mais elles ont encore de quoi produire de moindres grains. » (Liger & B, 1732, t.1 : 515).
 
 
 
Mais ''bled'' avait commencé à se réduire et se préciser, plus ou moins selon les régions – déjà en 1604, O. de Serres avait nuancé sa liste des bleds : « En plusieurs endroits de ce Royaume, par le Bled est entendu le pur Froment, comme anciennement par le mot de Semence, l’Épeautre. ». En 1710, Rosny le restreint aux bleds d’hiver :
 
 
 
{{Citation dictionnaire
 
|texte citation = Lorsque l’on a une quantité de terres considérable, pour les cultiver bien à propos & les rendre fécondes & fertiles, (…) il faut les diviser en trois parties égales ou à fort peu prés, que l’on appelle ordinairement mettre les terres en soles. L’une se sème en bled, l’autre en avoine ; & la troisième partie demeure sans semer, que l’on appelle jachère, qui est toujours la première façon ou le premier labour (). Sur ces terres en jachères, après avoir eu trois à quatre façons, se sèment les bleds ; & les avoines sur les terres où l’on a recueilli du bled l’Août précédent, qui demeurent en jachère après la récolte faite, pour y semer du bled l’année ensuite ; & ainsi se font consécutivement ces labours & façons par soles, d’année en année.
 
|italiques = non
 
|référence citation = Rosny, 1710, 24-25 - on retrouve un texte très semblable dans [[A pour personne citée::Louis Liger|Liger]] et B., 1732, t.1 : 593
 
}}
 
 
 
Croyant être plus rationnels ou plus précis, les lettrés y ont introduit de la confusion :
 
{{Citation dictionnaire
 
|texte citation = L’usage a établi une première distinction entre les blés, c’est celle qui se rapporte au temps où ils sont semés. On appelle <u>blés d’hiver</u> le froment, le seigle, le méteil, l’épeautre, qui se sèment avant cette saison, dont ils supportent les intempéries lorsqu’elles ne dépassent pas leur degré ordinaire ; et <u>blés de mars</u> ou <u>printaniers</u> l’orge, l’avoine, qui se sèment en mars, et même le froment que l’on sème dans ce mois. On désigne aussi communément les blés d’hiver par la désignation de <u>gros blés</u>, et ceux de mars par celle de <u>petits blés</u> ou de <u>menus grains</u> ; toutefois cette distinction n’est pas d’une précision rigoureuse, car il y a non-seulement, comme on vient de le voir, des froments, mais aussi des seigles qui se sèment au printemps et des orges et des avoines qui se sèment avant l’hiver. Quelques agronomes trouvent plus exact d’appliquer d’une manière absolue la dénomination de gros blés au froment, au seigle, au méteil et aux épeautres, en quelque saison que ces divers grains soient mis en terre, et celle de petits blés à l’avoine, au millet, au panis, au sarrasin et à tous les autres menus grains.
 
|italiques = non
 
|référence citation = Gautier, 1833
 
}}
 
 
 
À cette époque, blé et froment sont synonymes pour Moll (1838) et [[A pour personne citée::Jean-Baptiste Boussingault|Boussingault]] (1844), qui appelle ''blé trémois'' celui « d’été » et précise « le blé (''triticum aestivum'') » (p.663). En 1849, [[A pour personne citée::Adrien de Gasparin|Gasparin]] évite l’ambiguïté en écrivant « le blé-froment », mais décrit l’ancien assolement triennal comme « une jachère tous les trois ans, suivie d'un blé, puis d'une récolte d'avoine ou d'orge » (p. 9), sans rappeler que le « blé » pouvait y être un seigle – ambiguïté qu’on retrouve dans tout son chapitre historique, et nombre de textes contemporains.
 
 
 
<u>Blé</u> s’est ainsi progressivement restreint ou précisé jusqu’à ne plus désigner que les espèces du genre ''Triticum'' et, accessoirement, le « blé noir » ou sarrasin. Et on emploie [[céréale]] pour le remplacer dans son acception ancienne large, excluant cependant les légumineuses.
 
 
 
Un dernier point. Pendant des siècles en France, l’approvisionnement en pain, aliment de base de la population, n’était pas assuré tous les ans. Fréquentes étaient les disettes, et encore plus fréquente la faim des classes pauvres. Les trois révolutions de 1789, 1830 et 1848 ont suivi des années de mauvaises récoltes et, tout le long du XIX<sup>e</sup> siècle, la « question des subsistances » a inquiété les gouvernements (la dernière disette hors temps de guerre datant de 1853-54). Posséder des champs de blé, ou du blé dans ses greniers, était alors un aspect essentiel de la richesse. D’où des utilisations proverbiales de blé telles que « manger son blé en herbe » (dépenser un bien productif avant qu’il n’ait rapporté, dépenser par avance un revenu attendu) ou « bon champ semé, bon blé rapporte » (sa bonne éducation est profitable), et le sens figuré de argent (« avoir du blé en poche » (Quemada, 1983 ; Rey, 1992, t. 1 : 231 ; 2005, t. 1 : 954-955).
 
 
 
==Autres langues==
 
* Latin : ''triticum'' est le froment (blé tendre, ''Triticum aestivum''), alors que ''frumentum'' s’applique à l’ensemble des céréales (blé, seigle, orge...), d’où, dans les traductions de textes de l’Antiquité, de nombreuses erreurs qui faussent l’image de l’agriculture. En latin médiéval, par contre, ''bladum'' recouvre l’ensemble des grains (plus ou moins) panifiables, ''frumentum'' désignant la meilleure espèce parmi eux...
 
 
 
* Anglais : Historiquement, ''corn'' correspond à blé (ensemble d’espèces), ''wheat'' désignant le froment (''Triticum''). Actuellement, ''corn'' désigne la céréale principale dans une région : froment en Angleterre, maïs aux USA.
 
 
 
Pour les autres langues européennes, voir : [http://uses.plantnet-project.org/en/Triticum_aestivum_subsp._aestivum_%28Common_names%29 Triticum aestivum subsp. aestivum] sur le site Plantnet Project.
 
  
 
==Références citées==
 
==Références citées==
* Alletz P.A. 1760. ''L’agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur...'' Paris, t. 1, 666 p. ; t. 2, 664 p. [http://polib.univ-lille3.fr/data/031/index.html Texte intégral] sur le site du PôLib.
+
* Haudricourt, A.G., Jean-Brunhes Delamarre M., ''L’Homme et la charrue à travers le monde''. Paris, Gallimard, 1955. Réédition : La Manufacture, Paris, 1986, 410 p.
* Anonyme, ca. 1275. ''Seneschaucie''. Voir Lamond, 1890 et Oschinsky, 1971.
+
* Marbach A., 2004. ''Recherches sur les instruments aratoires et le travail du sol en Gaule Belgique''. Oxford, BAR Int. Ser., 2 vol, 159 + 153 + 68 p.
* Boisguilbert P. de, 1707. ''Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains'', ''in'' : ''Testament politique de Monsieur de Vauban, Maréchal de France'', t. 1, p. 231-386. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k95290c Texte intégral] sur Gallica. Édition de 1843, ''in'' : E. Daire, ed., Collection des principaux économistes. T. 1 : ''Économistes financiers du 18e siècle'', p. 352-402. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9578f Texte intégral] sur Gallica.
+
* Needham J., Bray F., 1984. ''Agriculture'' (Vol. 6 Part II de Science and Civilisation in China, J. Needham, dir.). Cambridge University Press, 724 p.
* Boussingault J.B., 1843-44. ''Économie rurale considérée dans ses rapports avec la chimie, la physique et la météorologie''. Béchet jeune, Paris, t. 1, 1843, 648 p ; t. 2, 1844, 742 p. Textes intégraux sur Gallica, le [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5768495p.r=.langFR tome 1] et le [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5462841x.r=.langFR tome 2].
+
* Pline l’Ancien, [ca. 72 après J.C.] 1972. ''Histoire naturelle'' (Livre XVIII). Paris, Les Belles Lettres, 462 p. [http://web2.bium.univ-paris5.fr/livanc/?cote=39197x01&p=677&do=page Texte intégral] sur le site de la Bibliothèque inter-universitaire de médecine.
* Chancrin E., Dumont R. (dir.), 1921. ''Larousse agricole. Encyclopédie illustrée''. Paris, t. 1, 852 p.
+
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==Pour en savoir plus==
 
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* Sigaut F. (dir.), 1977. ''Les Hommes et leurs sols''. N° spécial du ''JATBA'', vol. XXIV, n°2-3, 281 p.
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* ''Tools and Tillage'', revue annuelle publiée de 1968 à 1995 par le Musée National du Danemark (Copenhague), sous la direction d’Axel Steensberg et de Grith Lerche.
  
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====Liens externes====
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<references />
  
{{Bas de page Mots agronomie}}
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==Autres langues==
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*Anglais : ''plough'' (GB) / ''plow'' (USA)
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*Espagnol : ''arado''
  
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[[Catégorie:C]] [[Catégorie:Matériel agricole]]

Version du 19 juin 2011 à 07:39

Note
Cet article sera complété par (au moins) un autre article sur l’évolution des charrues au XXe siècle.

Auteur : François Sigaut

Le point de vue de...
Pas de compléments pour cet article
Annexes de l'article
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Voir aussi (articles complémentaires)
Autres langues
Anglais : plough (GB), plow (USA)
Espagnol : arado
Informations complémentaires
Article accepté le 1 juillet 2010
Article mis en ligne le 9 septembre 2010


Définition

(Texte retiré provisoirement, car en cours de modification)


Historique du mot

Le mot « charrue » vient du bas-latin carruca, qui comporte la notion d’un avant-train à roues. C’est un mot qui appartient aux dialectes septentrionaux de la France, les dialectes méridionaux employant plutôt un dérivé du latin classique aratrum, comme le provençal araïre. Au XIXe siècle, le mot araire est passé dans le vocabulaire des agronomes pour désigner les charrues sans avant-train. Mais depuis la parution de L’Homme et la charrue d’Haudricourt et Jean-Brunhes Delamarre (1955), qui ont montré que l’avant-train n’était pas le critère essentiel de distinction entre araires et charrues, cet usage a pratiquement disparu. Il est d’ailleurs devenu sans objet, puisque depuis la généralisation du tracteur, toutes les charrues ont désormais un avant-train qui est le tracteur lui-même.

Historique de l’instrument

La charrue proprement dite est définie par l’existence d’un versoir qui rejette la terre soulevée par le soc sur un des côtés ; l’instrument doit donc avoir donc une structure dissymétrique, ce qui l’oppose à l’araire. Il n’existe que dans deux régions du monde : la Chine et l’Europe. En Chine toutefois, les charrues traditionnelles n’avaient ni coutre ni avant-train, et si on a d’assez nombreuses descriptions de l’instrument lui-même (Needham & Bray, 1984), on en a beaucoup moins de son mode d’action dans le sol. Tant que cette lacune ne sera pas comblée, il sera impossible de répondre aux nombreuses questions qui se posent à son sujet.

En Europe, la charrue fait son apparition quelque part entre le Pô, la haute vallée du Danube et celle du Rhin vers le début de notre ère. La date exacte est controversée, mais elle se situe entre le Ier et le VIe siècle de notre ère. Un passage de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, à la fin du Ier siècle, mentionne explicitement le coutre, les roues, et « un soc large qui renverse les gazons », ce qui s’applique assez bien au versoir. Un travail récent de Marbach (2004) sur les vestiges de coutres et de socs en Gaule Belgique a confirmé l’existence de charrues gallo-romaines dès le IIe siècle.

Araire et charrue - Rôle spécifique et répartition géographique de la charrue

On continue à lire dans de nombreux ouvrages que la charrue est une forme perfectionnée de l’araire, que celui-ci ne fait que « gratter », « égratigner » le sol, alors que la charrue permet de faire des labours plus profonds, plus complets, etc. Tout cela est faux. C’est le résultat d’une méconnaissance générale de la complexité des anciens modes de travail du sol, où araires et charrues, dont il existait d’ailleurs des modèles très divers, remplissaient des fonctions différentes et complémentaires. Il n’y avait pas « un » labour mais plusieurs, au moins trois et souvent bien davantage, chacun d’eux avec ses spécifications propres (voir jachère). C’est pourquoi il y avait en général plusieurs modèles de charrues et d’araires dans une région donnée. Lorsqu’il n’y en avait qu’un seul (le cas n’est pas fréquent), c’est qu’il existait des dispositifs permettant d’ajouter ou d’enlever facilement tel organe (coutre, versoir, 2e versoir) ou de modifier profondément les réglages, etc.

L’hypothèse la plus vraisemblable sur l’origine de la charrue est qu’il s’agissait initialement d’un instrument destiné au labour des gazons (Sigaut, 1972, 1975, 2004). La notion de gazon n’a pas la place qui devrait lui revenir en agronomie. Un gazon, au sens premier du terme, c’est un morceau de terre enherbée que le chevelu des racines rend mécaniquement beaucoup plus résistant que le même morceau de terre nue, auquel est réservé proprement le nom de motte : sauf dans le cas de certaines argiles particulièrement tenaces, les mottes se brisent sous le choc, pas les gazons, et quiconque a manié tant soit peu la bêche a vite appris que travailler une terre gazonnée demande beaucoup plus d’efforts et de temps qu’une terre nue. L’observation est si courante que toutes les langues européennes, et beaucoup d’autres, ont deux mots différents pour exprimer l’opposition motte / gazon (le latin a gleba / caespis). Et ce n’est sans doute pas un hasard si, dans le passage cité plus haut, Pline parle de gazons et non de mottes (latitudo vomeris caespites versat).

Dans cette perspective, le coutre et l’avant-train s’expliquent assez bien. En sol gazonné, la nécessité du coutre est trop évidente pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Quant à l’avant-train, son utilité est de réaliser un réglage en largeur et surtout en profondeur particulièrement rigoureux, qui répond aussi à une nécessité du labour en sol gazonné. La plupart des araires sont équipés d’un soc pointu qui travaille comme un coin en soulevant et en éboulant la terre, nue ou faiblement enherbée. Un réglage en profondeur est certes nécessaire, mais il n’a pas besoin d’être très précis ; que l’araire « pique » un peu plus ou un peu moins, dans certaines limites, n’a pas de gros inconvénients. Il en va tout autrement en sol gazonné, pour deux raisons. La première est qu’il est indispensable, pour la bonne organisation du travail, que les dimensions de la tranche de terre soient aussi constantes que possible d’un bout du rayage à l’autre. La seconde est que comme le soc travaille à plat, en largeur, tout dépassement intempestif de profondeur imposerait à l’attelage des efforts superflus et épuisants. À quoi il faut ajouter le fait que pour obtenir une décomposition aussi rapide que possible de la couche gazonnée, le labour doit être superficiel (5-10 cm) plutôt que profond. Or c’est précisément pour des labours superficiels qu’un réglage particulièrement précis, tel que l’avant-train le permet, est nécessaire. Dans l’Europe non méditerranéenne, la charrue est en général l’instrument des premiers labours, parce qu’une terre qui n’a pas été travaillée depuis assez longtemps est toujours plus ou moins gazonnée. Ces premiers labours doivent être peu profonds. Les labours plus profonds viendront ensuite, et suivant les régions et les circonstances, ils seront faits à la charrue ou à l’araire.

En résumé : la charrue n’est pas un instrument plus perfectionné ou plus performant que l’araire. Les deux instruments ont leurs domaines respectifs d’efficacité. L’araire est adapté à des sols nus ou faiblement gazonnés, qui tendent à s’ébouler facilement pendant ou après le passage de l’instrument. La charrue est adaptée à des sols gazonnés, ou qui pour d’autres raisons (texturales ?) tendent à conserver une forte cohésion. C’est en tous cas en prenant en compte cette différence qu’on peut comprendre, 1° pourquoi la charrue ne s’est jamais véritablement implantée dans les régions méditerranéennes, et 2° pourquoi l’araire est resté indispensable jusqu’au XIXe siècle dans de nombreuses régions de l’Europe du Nord qui connaissaient la charrue depuis longtemps. Dans ces régions, la disparition de l’araire sera liée, non aux perfectionnements apportés aux charrues proprement dites, mais au développement des instruments de pseudo-labour.

Références citées

  • Haudricourt, A.G., Jean-Brunhes Delamarre M., L’Homme et la charrue à travers le monde. Paris, Gallimard, 1955. Réédition : La Manufacture, Paris, 1986, 410 p.
  • Marbach A., 2004. Recherches sur les instruments aratoires et le travail du sol en Gaule Belgique. Oxford, BAR Int. Ser., 2 vol, 159 + 153 + 68 p.
  • Needham J., Bray F., 1984. Agriculture (Vol. 6 Part II de Science and Civilisation in China, J. Needham, dir.). Cambridge University Press, 724 p.
  • Pline l’Ancien, [ca. 72 après J.C.] 1972. Histoire naturelle (Livre XVIII). Paris, Les Belles Lettres, 462 p. Texte intégral sur le site de la Bibliothèque inter-universitaire de médecine.
  • Sigaut F., 1972. Les conditions d’apparition de la charrue. Journal d’Agriculture Tropicale et de Botanique Appliquée (JATBA), vol. XIX, n°10-11, pp. 442-478.
  • Sigaut F., 1975. L’Agriculture et le feu. Paris-La Haye, Mouton, 320 p.
  • Sigaut F., 2004. L’Évolution des techniques. In M. Barceló & F. Sigaut (dir.), The Making of Feudal Agricultures, Leiden-Boston, Brill.

Pour en savoir plus

Bibliographie complémentaire

  • Bourrigaud R., Sigaut F. (dir.), 2007. Nous labourons. Nantes, Centre d’Histoire du Travail, 400 p + CD.
  • Casanova A. M., 1861. Manuel de la charrue. Paris, La Maison Rustique, 176 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Diffloth P., 1929. Agriculture générale – Labours et assolements. Paris, J.B. Baillière & Fils, 6è édition, 364 p.
  • Feuerlein W., 1969. Bodenbearbeitung. In G. Franz (dir.), Die Geschichte der Landtechnik im XX. Jahrhundert (Frankfurt a. Main, DLG Verlag,), pp. 119-154.
  • Heuzé G., 1889. La Pratique de l’agriculture. Paris, Librairie Agricole de la Maison Rustique,.
  • Hopfen H. J., 1970. L’Outillage agricole pour les régions arides et tropicales. Rome, FAO, 2è éd., XII + 156 p.
  • Jourdier A., 1855. Le Matériel agricole. Paris, Hachette, 251 p. Texte intégral sur le site du Conservatoire numérique des Arts & Métiers (CNUM).
  • Lerche G., 1994. Ploughing Implements and Tillage Practices in Denmark from the Viking Period to About 1800. Herning, Poul Kristensen, 321 p.
  • Malrain, F., Matterne V., Méniel P., 2002. Les Paysans gaulois (IIIe siècle–52 av. J.-C.). Paris, Errance / Inrap, 236 p.
  • Paillet A., 2005. Archéologie de l’agriculture moderne. Paris, Errance, 288 p.
  • Pétrequin P., Arbogast R.M., Pétrequin A.M., Van Willigen S., Bailly M. (dir.), 2006. Premiers chariots, premiers araires. La diffusion de la traction animale en Europe pendant les IVe et IIIe millénaires avant notre ère. Paris, CNRS, 400 p.
  • Sigaut F. (dir.), 1977. Les Hommes et leurs sols. N° spécial du JATBA, vol. XXIV, n°2-3, 281 p.
  • Tools and Tillage, revue annuelle publiée de 1968 à 1995 par le Musée National du Danemark (Copenhague), sous la direction d’Axel Steensberg et de Grith Lerche.

Liens externes


Autres langues

  • Anglais : plough (GB) / plow (USA)
  • Espagnol : arado