Différences entre les pages « Repos et fatigue des terres - Annexe 1 » et « Signification des rendements - Annexe 1 »

De Les Mots de l'agronomie
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'''<big><center>Ni vieillesse, ni fatigue, mais manque d’engrais</center></big>'''
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'''<big><center>Expression des rendements au Moyen-Âge</center></big>'''
  
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Les deux textes ci-dessous illustrent le vocabulaire et la façon d’exprimer les rendements au Moyen-Âge. Ils sont tirés d’ouvrages de gestion de domaines agricoles écrits (en dialecte anglo-normand) au XIII<sup>e</sup> siècle en Angleterre.
  
(...) j'ai repoussé l'opinion de presque tous les anciens et rejeté le sentiment erroné de ceux qui pensent que, fatiguée et épuisée par l'action d'un âge si prolongé et par les travaux de tant de siècles, la terre est arrivée à la vieillesse (''longo aevi situ longique iam temporis exercitatione fatigatam et effetam humum consenuisse''). (...) Tremellius (...) a cru faussement que la terre, cette mère de toutes choses, accablée par la vieillesse, était, comme les vieilles femmes, devenue inhabile à la génération. J'en conviendrais, si je ne voyais plus naître de productions nulle part. Or, la vieillesse humaine est constatée (...) quand la femme ne peut plus donner aucune production ; (...) la faculté d'engendrer, que les années lui refusent, ne lui est pas restituée. La terre, au contraire, abandonnée volontairement ou par quelque accident, répond, si on la remet en culture, au soin du cultivateur par de gros intérêts pour le repos dont elle a joui (''At e contrario seu sponte seu quolibet casu destituta humus, cum est repetita cultu, magno fenore cessationis colono responde''t). Le vieil âge de la terre n'est donc pas la cause de la diminution de ses productions, puisque, une fois la vieillesse venue, elle ne retourne point sur ses pas, et nous ne pouvons ni rajeunir, ni reprendre la vigueur du jeune âge. Ce n'est pas, non plus, la lassitude du sol qui cause la diminution des produits (''sed ne lassitudo quidem soli minuit agricolae fructum'') : il ne serait pas sage de dire que, comme dans l'homme le corps se fatigue par un trop violent exercice ou par la surcharge d'un fardeau, de même la lassitude de la terre est le résultat des cultures et du remuement des champs (''cultibus et agitationibus agrorum fatigationem succedere''). Qu'est-ce donc que cette assertion de Tremellius, qui observe que les lieux jadis incultes et sauvages, après avoir d'abord commencé par rapporter avec abondance, ne tardent guère à ne plus répondre avec la même fécondité aux travaux du laboureur ? Sans doute il voit ce qui arrive, mais il n'en a pas pénétré la cause. En effet, un sol neuf, passant de l'état sauvage à la culture, n'est pas plus fertile parce qu'il a plus de repos et de jeunesse (''quod sit requietior et iunior''), mais parce que, durant de longues années, les feuilles et les herbes que la nature produit d'elle-même, l'engraissant en quelque sorte d'une nourriture copieuse, suffisent pour lui procurer les moyens de faire naître et de nourrir des récoltes ; mais aussi, dès que la herse ou la charrue n'a plus de racines de végétaux à briser, que les bois abattus ne nourrissent plus de leur feuillage la terre qui les a produits, et que les feuilles qui, en automne, tombées des arbres et des buissons, couvraient la surface de la terre, venant à y être enfouies par la charrue, se mêlent aux couches inférieures, qui sont les moins fécondes, et s'y trouvent absorbées : alors il s'ensuit que, privée de son ancienne nourriture, la terre ne tarde pas à maigrir (''At cum perruptae rastris et aratris radices herbarum, ferroque succisa nemora frondibus suis desierunt alere matrem, quaeque temporibus autumni frutetis et arboribus delapsa folia superiaciebantur, mox conversa vomeribus et inferiori solo, quod plerumque est exilius, permixta atque absumpta sunt, sequitur ut destituta pristinis alimentis macrescat humus''). Ce n'est donc point par la fatigue, comme certains le prétendent, ni par l'effet de la vieillesse, mais par notre nonchalance, que nos sillons répondent avec moins de bienveillance à notre espoir ; mais l'on peut accroître leurs productions, si on veut les entretenir par des engrais fréquents, faits en temps convenable et dans de justes proportions. (''Non igitur fatigatione, quemadmodum plurimi crediderunt, nec senio, sed nostra scilicet inertia minus benigne nobis arva respondent. Licet enim maiorem fructum percipere, si frequenti et tempestiva et modica stercoratione terra refoveatur.'')
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Le premier, le plus récent, calcule le rendement par rapport à la semence - « ''par le greyn'' » (par le grain), « ''coment il respunt a sun semayl'' » (comment il répond à son semis) -, ce qui a été le cas général pendant des millénaires.  
  
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Le deuxième l’exprime par rapport à la surface (ce qui est très rare avant la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle). Un tel choix s’explique par l’objectif et le contexte - donner aux seigneurs normands des méthodes et [[Référentiel|référentiels]] leur permettant de savoir si leurs gérants et autres serviteurs n'ont rien détourné, dans un contexte de relations sociales exécrables. De plus, cette surface, la ''charruée'' ou ''charrue de terre'', est celle, très variable, qu’une charrue avec son attelage permet de cultiver chaque année, compte tenu de l’[[assolement]] (nombre et dates des ''arrures'' ou [[Labour|labours]]) et du type de sol : calculer le rendement par charruée revient à mesurer la productivité du travail de l’attelage, facteur limitant car coûteux en fourrage - à la même époque, le texte de Gautier de Henley justifie l’assolement triennal avec des ''carêmages'' ([[Blé|blés]] de printemps) qui suivent les ''hivernages'' (blés d’hiver) par les calendriers de labour différents qui permettent de mieux utiliser les attelages qu’avec seulement des ''hivernages''.
  
([[A pour personne citée dans les annexes::Columelle]] [''ca''. 42] 1844. ''De l’Agriculture''. Trad. Du Bois, Panckoucke, Paris, 1844, livre II, 1).
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'''<big>''Hosebonderie'' anonyme, ''ca''. 1290.'''</big><br>
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'''Texte publié par Oschinsky''' (1971, p. 418-420)<br>
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« ''Au primer, issue de graunge, deyt hom veer combyen il y ath seme de chescun manere de blye, e de combyen il respunt del yssue, kar (...) par comoune respounse orge deyt respondre al viii<sup>me</sup> greyn, coe est a saver de un quarter de greyn semee viii quarter de issue ; e segle al vii<sup>me</sup> greyn, e feves e poys al sime greyn; e drasge de orge e de aveyne, si il est owelement melle, a le vi<sup>me</sup> greyn ; e si il yath plus de orge qe del aveyne de plus deyt respundre, e si il yath meyns de orge qe de aveyne de meyns deyt respundre; e ausi de mestilon de furment e de segle, si il iseyt owelement melle si deyt respundre au vi<sup>me</sup> greyn ; e si il yath plus de furment qe de segle de meyns deyt respundre; e si il yath plus de segle qe de furment de plus deyt respundre; e furment deyt respundre au v<sup>te</sup> greyn e aveyne al iiii<sup>te</sup> greyn.'' <br>
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''Mes pur ceo qe les terres ne responunt pas ausi byen en un an com en un autre, ne les malveyses terres ne responunt pas ausi byen com les bons; de autre part il aveynt sovent foyz qe le yvernayl se prent byen e le trameys se faut, e akune foyz le trameys se prent byen e le yvernayl faut. E pur ceo si la terre ne respunt de plus qe ele nest charge par le greyn, le seygnur ipert, e si ele respunt de meyns, il covieynt qe celuy qe rent lacounte qil paye del suen.'' »
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| '''Transcription en français actuel par P. Morlon'''<br>
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« Pour commencer, produit de la grange, on doit voir combien il y a semé de chaque espèce de blé, et de combien il rapporte de produit, car (...) par rendement ordinaire l’orge doit rendre au 8<sup>me</sup> grain, c’est à dire que d’un quarter (8 boisseaux) de grain semé 8 de produit ; et le seigle au 7<sup>me</sup> grain, et les fèves et pois au 6<sup>me</sup> grain, et la dragée d’orge et d’avoine, si elle est mélangée à parts égales, au 6<sup>me</sup> grain, et s’il y a plus d’orge que d’avoine elle doit rendre plus, et s’il y a moins d’orge que d’avoine elle doit rendre moins ; et aussi de méteil de froment et de seigle, s’il est mélangé à parts égales il doit rendre au 6<sup>me</sup> grain, et s’il y a plus de froment que de seigle il doit rendre moins, et s’il y a plus de seigle que de froment il doit rendre plus ; et le froment doit rendre au 5<sup>me</sup> grain et l’avoine au 4<sup>me</sup> grain.<br>
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Mais parce que les terres ne rendent pas aussi bien une année comme une autre, ni les mauvaises terres ne rendent pas aussi bien que les bonnes, d’autre part il advient souvent que l’hivernage (blés d’hiver) s’établit bien et le trémois blés de printemps) échoue, et une autre fois le trémois s’établit bien et l’hivernage échoue. Et si la terre ne rend pas plus qu’elle n’a reçu de semence, le seigneur y perd, et si elle rend moins, il convient que celui qui rend le compte qu’il paye du sien. »
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<big>'''Robert Grosseteste, ''Règles'', ''ca''. 1240.'''</big><br>
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'''Texte publié par Oschinsky''' (1971, p. 394-396)<br>
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«''Ke vus sachez la reysun pur quey vus devez certeynement saver le numbre de vos caruees de terre, e le numbre des acres de waret, e de terre semee, co est ke par co saverez cumben de ble vus deve aver en gros, cumben destor, cumben la terre deyt reprendre en semence.''
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''Dunt vus devez saver ke poverement respund chescune caruee de terre ke ne rent cent summes de ble, dunt tauntes caruees de terre cum vus avez tauntes centeynes quarters al meyns devez aver, u seez certe ke la terre est malemente gayngne u fausemente seme u le ble emble. Si vus avez dunc quaraunte caruees de terre vu devez aver quatre mile quarters de ble, si cinquaunte caruees cinc mile, e issi avaunt.''»
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| '''Transcription en français actuel par P. Morlon'''<br>
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« Vous devez savoir la raison pourquoi vous devez savoir de façon sûre le nombre de vos charruées de terre, et le nombre des acres de guéret, et de terre semée, car c’est par quoi vous saurez combien de blé vous devez avoir au total, combien de bétail, combien la terre doit reprendre en semence.
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Car vous devez savoir que pauvrement rend chaque charruée de terre qui ne rend cent charges de blé, de là vous devez avoir au moins autant de centaines de quarters que de charruées de terre que vous avez, ou soyez certain que la terre est mal travaillée (labourée) ou mal semée (tromperie sur la quantité de semence) ou le blé volé. Si donc vous avez quarante charruées de terre, vous devez avoir quatre mille quarters de blé, si cinquante charruées cinq mille, et ainsi de suite. »
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'''Référence :'''
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*Oschinsky D., 1971. ''Walter of Henley and Other Treatises on Estate Management and Accounting''. Clarendon Press, Oxford,  xxiv + 504p.
  
 
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Version du 8 juillet 2011 à 09:34

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Expression des rendements au Moyen-Âge

Les deux textes ci-dessous illustrent le vocabulaire et la façon d’exprimer les rendements au Moyen-Âge. Ils sont tirés d’ouvrages de gestion de domaines agricoles écrits (en dialecte anglo-normand) au XIIIe siècle en Angleterre.

Le premier, le plus récent, calcule le rendement par rapport à la semence - « par le greyn » (par le grain), « coment il respunt a sun semayl » (comment il répond à son semis) -, ce qui a été le cas général pendant des millénaires.

Le deuxième l’exprime par rapport à la surface (ce qui est très rare avant la fin du XVIIIe siècle). Un tel choix s’explique par l’objectif et le contexte - donner aux seigneurs normands des méthodes et référentiels leur permettant de savoir si leurs gérants et autres serviteurs n'ont rien détourné, dans un contexte de relations sociales exécrables. De plus, cette surface, la charruée ou charrue de terre, est celle, très variable, qu’une charrue avec son attelage permet de cultiver chaque année, compte tenu de l’assolement (nombre et dates des arrures ou labours) et du type de sol : calculer le rendement par charruée revient à mesurer la productivité du travail de l’attelage, facteur limitant car coûteux en fourrage - à la même époque, le texte de Gautier de Henley justifie l’assolement triennal avec des carêmages (blés de printemps) qui suivent les hivernages (blés d’hiver) par les calendriers de labour différents qui permettent de mieux utiliser les attelages qu’avec seulement des hivernages.


Hosebonderie anonyme, ca. 1290.

Texte publié par Oschinsky (1971, p. 418-420)
« Au primer, issue de graunge, deyt hom veer combyen il y ath seme de chescun manere de blye, e de combyen il respunt del yssue, kar (...) par comoune respounse orge deyt respondre al viiime greyn, coe est a saver de un quarter de greyn semee viii quarter de issue ; e segle al viime greyn, e feves e poys al sime greyn; e drasge de orge e de aveyne, si il est owelement melle, a le vime greyn ; e si il yath plus de orge qe del aveyne de plus deyt respundre, e si il yath meyns de orge qe de aveyne de meyns deyt respundre; e ausi de mestilon de furment e de segle, si il iseyt owelement melle si deyt respundre au vime greyn ; e si il yath plus de furment qe de segle de meyns deyt respundre; e si il yath plus de segle qe de furment de plus deyt respundre; e furment deyt respundre au vte greyn e aveyne al iiiite greyn.
Mes pur ceo qe les terres ne responunt pas ausi byen en un an com en un autre, ne les malveyses terres ne responunt pas ausi byen com les bons; de autre part il aveynt sovent foyz qe le yvernayl se prent byen e le trameys se faut, e akune foyz le trameys se prent byen e le yvernayl faut. E pur ceo si la terre ne respunt de plus qe ele nest charge par le greyn, le seygnur ipert, e si ele respunt de meyns, il covieynt qe celuy qe rent lacounte qil paye del suen. »

Transcription en français actuel par P. Morlon

« Pour commencer, produit de la grange, on doit voir combien il y a semé de chaque espèce de blé, et de combien il rapporte de produit, car (...) par rendement ordinaire l’orge doit rendre au 8me grain, c’est à dire que d’un quarter (8 boisseaux) de grain semé 8 de produit ; et le seigle au 7me grain, et les fèves et pois au 6me grain, et la dragée d’orge et d’avoine, si elle est mélangée à parts égales, au 6me grain, et s’il y a plus d’orge que d’avoine elle doit rendre plus, et s’il y a moins d’orge que d’avoine elle doit rendre moins ; et aussi de méteil de froment et de seigle, s’il est mélangé à parts égales il doit rendre au 6me grain, et s’il y a plus de froment que de seigle il doit rendre moins, et s’il y a plus de seigle que de froment il doit rendre plus ; et le froment doit rendre au 5me grain et l’avoine au 4me grain.
Mais parce que les terres ne rendent pas aussi bien une année comme une autre, ni les mauvaises terres ne rendent pas aussi bien que les bonnes, d’autre part il advient souvent que l’hivernage (blés d’hiver) s’établit bien et le trémois blés de printemps) échoue, et une autre fois le trémois s’établit bien et l’hivernage échoue. Et si la terre ne rend pas plus qu’elle n’a reçu de semence, le seigneur y perd, et si elle rend moins, il convient que celui qui rend le compte qu’il paye du sien. »


Robert Grosseteste, Règles, ca. 1240.

Texte publié par Oschinsky (1971, p. 394-396)
«Ke vus sachez la reysun pur quey vus devez certeynement saver le numbre de vos caruees de terre, e le numbre des acres de waret, e de terre semee, co est ke par co saverez cumben de ble vus deve aver en gros, cumben destor, cumben la terre deyt reprendre en semence.

Dunt vus devez saver ke poverement respund chescune caruee de terre ke ne rent cent summes de ble, dunt tauntes caruees de terre cum vus avez tauntes centeynes quarters al meyns devez aver, u seez certe ke la terre est malemente gayngne u fausemente seme u le ble emble. Si vus avez dunc quaraunte caruees de terre vu devez aver quatre mile quarters de ble, si cinquaunte caruees cinc mile, e issi avaunt.»

Transcription en français actuel par P. Morlon

« Vous devez savoir la raison pourquoi vous devez savoir de façon sûre le nombre de vos charruées de terre, et le nombre des acres de guéret, et de terre semée, car c’est par quoi vous saurez combien de blé vous devez avoir au total, combien de bétail, combien la terre doit reprendre en semence.

Car vous devez savoir que pauvrement rend chaque charruée de terre qui ne rend cent charges de blé, de là vous devez avoir au moins autant de centaines de quarters que de charruées de terre que vous avez, ou soyez certain que la terre est mal travaillée (labourée) ou mal semée (tromperie sur la quantité de semence) ou le blé volé. Si donc vous avez quarante charruées de terre, vous devez avoir quatre mille quarters de blé, si cinquante charruées cinq mille, et ainsi de suite. »


Référence :

  • Oschinsky D., 1971. Walter of Henley and Other Treatises on Estate Management and Accounting. Clarendon Press, Oxford, xxiv + 504p.
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