Différences entre les pages « Le maïs, de la téosinte aux variétés hybrides » et « Plantes indicatrices »

De Les Mots de l'agronomie
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|note 1=Cet article fait partie du dossier [[Maïs]].
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<big>''Auteur'' : '''[[A pour auteur::André Gallais]]'''</big><br/>
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{{Infobox article
|Annexe 1=Le maïs dans l’Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables et miraculeuses en nature...  
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|Anglais=indicator species, plants-indicators
|Annexe 2=Les substitutions de plantes cultivées : le cas du Maïs
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|Allemand=
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|Espagnol=plantas indicadoras
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|Annexe 1=Interactions entre différents facteurs et compétition entre espèces (cas des espèces nitratophiles dans les prairies).
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|Article 1=Le maïs en France avant les hybrides
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|Article 1=Aptitudes
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|Article 2=Concurrence
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|Article 3=Contraintes
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|Article 4=Milieu naturel
|Date d'acceptation=17 janvier 2011
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|Article 5=Pédoclimatique
|Mise en ligne=17 janvier 2011
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|Article 6=Potentialités
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|Date d'acceptation=30 novembre 2010
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|Mise en ligne=18 janvier 2011
 
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__NOTOC__
 
__NOTOC__
==Botanique et origine==
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==Définition==
[[Fichier:photo1_epi_teosinte.jpg|200px|thumb|left|<center>Photo 1 : '''Vue de l’épi de téosinte '''</center>
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'''On appelle plantes indicatrices des [[espèce]]s facilement reconnaissables dont la présence spontanée (ou, au contraire, l’absence) en un lieu donne des indications sur une ou plusieurs caractéristiques, physico-chimiques ou biologiques, naturelles ou dues à l’action de l’homme, du milieu. L’expression doit toujours être au pluriel et on devrait plutôt parler de végétation (ou d’association végétale) indicatrice car une espèce, et ''a fortiori'' une plante, ne peut être indicatrice à elle toute seule.'''
Cet épi est formé de quelques grains (6-8 grains), enveloppés dans une cupule, soudés les uns aux autres, en position alterne (distique, c'est-à-dire sur deux rangées opposées). On peut remarquer les spathes comme chez le maïs, mais qui n’enveloppent pas complètement l’épi. A maturité, les grains se détachent les uns des autres et tombent sur le sol.]]
 
Le maïs cultivé ''Zea mays'' ssp ''mays'' est une graminée d’origine tropicale, de la tribu des Maydées. Différentes formes sauvages de l’espèce ''Zea Mays'' existent au Mexique ; ce sont les téosintes, avec des formes annuelles, ''Zea mays'' ssp ''mexicana'', ''Zea mays'' ssp ''parviglumis'' considérée aujourd’hui comme l’ancêtre du maïs cultivé, et une forme pérenne, ''Zea mays'' ssp ''perennis'' (photo 1).
 
 
[[Fichier:Mais_teosinte_aux_hybrides2.jpg|200px|thumb|right|<center>Photo 2 : '''Plante de téosinte'''</center>
 
Une plante est formée par un nombre variable de talles terminées par une panicule mâle et qui portent des ramifications secondaires à la base desquelles se trouvent les petits épis.]]
 
Les téosintes sont morphologiquement très différentes du maïs : elles [[talle]]nt beaucoup (photo 2), forment sur des ramifications latérales de nombreux petits [[épi]]s (de quelques cm), qui peuvent se prolonger par une petite inflorescence mâle et sont réduits à deux rangées de quelques grains alternes enveloppés dans une cupule cellulosique (équivalent de glumes soudées) ; il n’y a pratiquement pas de rachis : les grains sont soudés les uns aux autres ; à maturité l’épi se désarticule et les grains tombent sur le sol. En revanche, l’inflorescence mâle qui termine toute talle ressemble beaucoup à celle du maïs et les épis sont enveloppés d’une spathe.
 
  
Une autre [[espèce]], ''Tripsacum dactyloïdes'', a longtemps été considérée comme un possible ancêtre du maïs, bien qu’elle lui ressemble encore moins que les téosintes : les inflorescences sont terminales et bisexuées, les épillets femelles avec une seule fleur, disposés en deux rangées opposées et alternes, sont situés à la base de l’inflorescence et les épillets mâles sont dans la partie supérieure, disposés par paires sur un côté de l’axe de l’inflorescence. Il n’y a pas de spathes, mais comme chez les téosintes le grain est encapsulé dans une coque cellulosique.
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Outre l’agriculture, elles sont utilisées en écologie, foresterie<ref>Voir par exemple [http://www.foret-aquitaine.com/4florei.htm les espèces végétales indicatrices des milieux forestiers] en Aquitaine</ref> (Rameau ''et al''., 1989, 1993), géographie (bien qu’à peine mentionnées dans ''Les mots de la géographie'', Brunet ''et al''., 1992), prospection archéologique<ref>Voir par exemple [http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/racf_0220-6617_1979_num_18_3_2250 La végétation de quelques sites archéologiques en Limousin] sur le site de Persée</ref>,...
 
Le maïs est aussi génétiquement plus proche des téosintes que du Tripsacum. Le nombre chromosomique des téosintes diploïdes est le même que celui du maïs (2n = 20), alors que celui de ''Tripsacum dactyloides'' est de 36. Il existe cependant une téosinte tétraploïde (2n = 40) : ''Zea mays'' ssp ''perennis''. Les téosintes diploïdes ''Zea mays'' ssp ''mexicana'' et ssp ''parviglumis'' se croisent très facilement et échangent des gènes avec le maïs. Les différences de structure des chromosomes entre téosintes et maïs ne sont pas plus grandes qu’à l’intérieur du maïs ; chez un hybride téosinte x maïs, à la méiose, ils s’apparient parfaitement et la F1 est fertile (Photo 3). Les téosintes peuvent donc être considérées comme faisant partie de la même espèce que le maïs. Tripsacum se croise certes avec le maïs et la téosinte, mais beaucoup plus difficilement et les croisements sont stériles.
 
  
De plus, on trouve chez les téosintes les mêmes systèmes isoenzymatiques que chez le maïs, avec les mêmes allèles, ce qui montre qu’il n’y a pas eu une grande différenciation (en tout cas pas plus grande qu’à l’intérieur du maïs). Enfin, le génome chloroplastique de quelques téosintes annuelles est identique à celui du maïs. Les études de distance génétique avec les marqueurs moléculaires du génome nucléaire montrent que le maïs est plus proche de ''Zea mays'' ssp ''parviglumis'' que de ''Zea mays'' ssp ''mexicana'', contrairement à ce qui avait été admis dans une première étape.  
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==Introduction==
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L’expression "plantes indicatrices" qui, en agronomie, a souvent été restreinte aux propriétés des sols, semble récente (XX<sup>e</sup> siècle ?). Mais cela fait des millénaires qu’observer les plantes qui poussent dans un lieu est un moyen peu coûteux et, sous certaines conditions, sûr, d’avoir des informations sur ce qu’il peut produire.  
  
Un nombre limité de gènes permettent d’expliquer le passage de téosinte à maïs. Dans un croisement téosinte x maïs, en F2, environ une plante sur 500 redonne le type parental (hypothèse de 5 gènes majeurs) (Tx de Beadle, Galinat, voir Doebley, 1990). On connaît plusieurs gènes avec des allèles permettant la perte des caractères téosintes ; ils contrôlent la désarticulation du rachis à maturité, le passage de deux rangées de grains à un multiple de deux, l’induration de la glume, le développement d’épillets par paires et l’inhibition de ramifications latérales avec la transformation de la panicule mâle terminale de la ramification en épis.  
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En agriculture on a pendant très longtemps utilisé des plantes indicatrices pour connaître ce qu’on appelle maintenant le [[milieu naturel]], sa [[fertilité]] en général, ses [[aptitude]]s culturales particulières ou plus précisément certaines [[contrainte]]s ou conditions [[pédoclimatique]]s.  
  
Les différences majeures entre la téosinte ''Zea mays'' ssp ''parviglumis'' et le maïs sont au niveau de la fleur. Les autres différences ne font que traduire les différences observées entre formes sauvage et cultivée d’une espèce : la [[sélection]] naturelle qui tend à maximiser la valeur sélective (nombre de descendants laissés par une plante) a conduit à des plantes qui tallent, avec une maturité échelonnée sur une même plante, un dispositif de dispersion des graines (désarticulation du rachis) et des grains protégés… alors que l’intervention de l’homme a fait disparaître le tallage et a conduit à des épis avec un rachis soudé portant de plus en plus de grains nus se développant pratiquement tous en même temps. La conséquence est que, alors que la téosinte se maintient à l’état sauvage, le maïs est devenu totalement dépendant de l’homme. La domestication de la téosinte s’est faite par la fixation de certains gènes à effets assez forts expliquant la différence entre la téosinte et le maïs. Les fouilles montrent que l’allèle dominant du gène du maïs qui inhibe le développement des ramifications latérales a été retenu dès 4000 avant JC ; de plus on ne trouve qu’un seul allèle, ce qui est en faveur d’un seul centre de domestication.
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En Europe au moins, le milieu, de mieux en mieux connu et cartographié, n’est plus guère à découvrir – et, là où il l’est encore, on s’est habitué à faire appel à des techniques ([[analyse de terre | analyses de terre]], mesures météo) certainement moins intégratrices mais d’apparence plus « objective » ou « scientifique ». Et ce milieu est de moins en moins naturel – en « grandes cultures », la flore spontanée ([[adventice]]) d’un champ dépend largement de son [[histoire culturale]], du [[système de culture]] qui y est pratiqué : [[rotation]] ou [[succession]] de [[culture]]s, techniques de [[désherbage]]... L’utilisation de plantes indicatrices tend donc à se restreindre aux productions peu [[intensif | intensives]] comme les [[prairie]]s, et à la connaissance, voire au contrôle, des modes d’exploitation et des [[pratiques]]<ref>Voir par exemple Le diagnostic des prairies - [http://www.gnis-pedagogie.org/pages/prairies/chap1/44.htm noter les plantes indicatrices] sur le site du GNIS et téléchargez la planche d'illustration : [http://www.inra.fr/presse/mesures_agri_environnementales_avec_engagement_de_resultat_ecologique, Liste de plantes indicatrices et référentiel photographique utilisés dans le Massif des Bauges pour le contrôle des engagements de la mesure agri-environnementale "prairies fleuries"]</ref> - en 1962 déjà, Delpech utilisait l'analyse floristique des prairies autant pour faire un diagnostic des modalités d'exploitation que pour connaître le milieu, affirmant que « l’influence des interventions humaines sur la végétation (mode d'exploitation, par exemple) est très profonde et parfois beaucoup plus importante que celle des facteurs naturels ».
  
[[Fichier:photo3_croisement_x_teosinte.jpg|300px|thumb|left|<center>Photo 3 : '''Disjonction en F2'''</center>
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Par ailleurs, la présence d’espèces inféodées à un milieu n’est pas seule indicatrice, la date d’un [[stade de développement|stade phénologique]] d’espèces communes l’est aussi, ce qui ouvre d’autres perspectives : cartographie fine du climat, suivi du changement climatique...
<center>'''d’un croisement maïs X téosinte'''</center>
 
Le maïs se croise très facilement avec la téosinte, son ancêtre. Par autofécondation de ce croisement (F2) on obtient toute une gamme de formes de l’épi allant de l’épi téosinte, en haut à gauche, à l’épi de maïs actuel, en bas à droite.]]
 
La question de savoir s’il y a eu un seul événement de domestication ou plusieurs fait en effet encore l’objet de recherches. L’hypothèse la plus couramment admise est celle d’un seul centre de domestication à partir de ''Zea mays'' ssp ''parviglumis'' situé dans la région d’Oaxaca et Jalisco (Matsuoka et al., 2002) où les fouilles archéologiques montrent bien le développement d’une agriculture 5000 ans avant JC. Cependant, ''Zea mays'' ssp ''mexicana'' a joué un grand rôle dans l’évolution du maïs ; elle est très dispersée et présente là où est le maïs, alors que ''Zea mays'' ssp ''parviglumis'' a une aire restreinte. Des échanges géniques importants ont eu lieu entre ''Zea mays'' ssp ''mexicana'' et le maïs ; ils ont été très favorables à la variabilité génétique du maïs.  
 
  
Les fouilles archéologiques n’ont jamais permis de trouver un maïs sauvage ressemblant au maïs actuel ; par contre, elles montrent bien le passage de l’épi de téosinte (2-3 cm) il y a 7000 ans, à celui du maïs qui mesurait environ 7cm 2000 ans plus tard, et près de 10 cm au début de l’ère chrétienne. Au cours du temps, le nombre de grains et leur taille ont considérablement augmenté.  
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==En agriculture, un moyen très ancien==
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Il y a 2400 ans, après avoir affirmé que l’agriculture est, de tous les arts, le plus facile à apprendre, le Grec [[A pour personne citée::Xénophon]] en expose les bases, à commencer par la connaissance du terrain :<br/>
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« ... on peut même sur un terrain qui appartient à un autre, reconnaître ce qu'il peut ou ne peut pas produire, rien qu'à en voir les récoltes et les arbres (...) ce que la terre aime à faire croître et à nourrir. (...) Même si elle est en friche elle laisse voir encore sa nature ; celle dont les produits sauvages sont de bonne qualité peut, si on la soigne, donner aussi des produits cultivés de bonne qualité. Ainsi, même les novices en agriculture peuvent cependant discerner la nature du terrain. » (Xénophon, ''ca''. 375 av. J.C., livre 16).
  
Les plus vieux maïs archéologiques au Mexique ont 7000 ans environ (5000 ans avant JC). La [[culture]] du maïs semble s’être surtout développée de -2000 à 0. A cette époque, au Mexique, les tribus se fixent, il apparaît des villages d’agriculteurs, avec une alimentation à base de maïs. Dans ces civilisations (les Olmèques), le maïs joue un rôle important et est représenté sous les traits d’une divinité ou d’une déesse. Cette civilisation va inspirer les Mayas au Sud et donne naissance aux civilisations des Toltèques et des Aztèques (dès 200 ans après JC et l’empire Aztèque durera jusqu’en 1521) où le maïs joue toujours un grand rôle. D’ailleurs, en langage Aztèque, certains anthropologues pensent que téosinte signifierait « dieu du maïs » (téo = dieu, centite = maïs). Chez les Toltèques, la déesse mère accouche tous les ans, au moment de la maturité du maïs, du dieu du Maïs. Le dieu du maïs, est le dieu de la vie. Pour les Mayas, l’homme descend du maïs et le troisième dieu, dans leur hiérarchie est le dieu du maïs. Dans ces civilisations, des sacrifices sont faits pour la culture du maïs (des enfants sont sacrifiés pour que le Dieu Tlaloc, dieu de la pluie, envoie de l’eau pour le maïs). De nombreux rites d’offrandes au dieu du maïs dès le [[semis]] traduisent une inquiétude - attitude très différente de celles des civilisations liées à la culture du blé, chez lesquelles la fin des semis était une période de fêtes : dans les zones d’origine du blé, le blé est moins dépendant de la pluviométrie que le maïs au Mexique.
 
  
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Parmi les signes certains et « reconnus par les Anciens » d'un sol gras et fertile en blés, le Romain [[A pour personne citée::Columelle]] mentionne les plantes qui y poussent (attention : la traduction des noms d’espèces des textes de l’Antiquité n’est jamais garantie !) :<br/>
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« ... il y a plusieurs signes qui font reconnaître une terre douce et propre au blé, comme la présence du jonc, du roseau, du chiendent, du trèfle, de l'hièble, des ronces, des prunelliers, et de plusieurs autres plantes qui, bien connues des chercheurs de sources, ne croissent que dans les veines d'une terre douce. » (Columelle, ''ca''. 42 ap. J.C., livre 2).
  
  
==La diffusion du maïs==
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Dans la première ''Maison rustique'', [[A pour personne citée::Charles Estienne|Estienne]] nomme des espèces que l’on dirait aujourd’hui indicatrices de conditions pédoclimatiques :<br/>
En Amérique même, les recherches archéologiques et les études à partir des marqueurs moléculaires indiquent deux centres de diversification, l’un au nord de l’équateur issu du centre primaire Mexique-Guatemala, et l’autre au sud de l’équateur à partir du centre secondaire des Andes (Équateur, Pérou) où il est cultivé depuis au moins 4500 ans (Figure 1), d’abord dans les basses terres tropicales, puis en altitude jusqu’à près de 4 000 m. On le trouve dans le sud-ouest des États-Unis 1000 à 1500 ans avant JC, associé au développement d’une l’agriculture à base de maïs, courge et [[haricot]]. À partir de cette région le maïs est remonté vers le Nord : dans le Nord-Est des États-Unis il était cultivé par les indiens Iroquois, avant l’arrivée de Jacques Cartier en 1535. Il était aussi cultivé par les indiens du Canada. Des Grands lacs au rio de la Plata, le maïs a joué un rôle important dans l’alimentation des « Indiens », pour toutes les classes sociales.  
+
« Pour distinction de ces herbes les chardons monstrent la chaleur du terroir, (...), la seguë, l’ache sauvage, la fumeterre viennent de putrefaction ; le lizet petit & grand, procedent partie de seicheresse, partie d’alteration d’humeur. La maurelle, petite & grande, que lon nomme symphile maieur, viennent de la partie froide qu’elles tirent de l’humeur de la terre : la mercure de deux sortes, l’euphrage aussi de deux ou trois fleurs differentes, la menuë ozeille rouge par-dessous, les trois sortes de plantain tiennent du froid ou temperé... » (Estienne, 1564, 5è livre, chap. 3).
  
[[Fichier:Mais teosinte aux hybrides4.jpg|thumb|alt=Origine et diffusion du maïs|center|upright=3]]
 
<center>'''Figure 1. Origine et diffusion du maïs dans le monde''' (d’après Charcosset, 2009).</center>
 
<center>Les termes « corné et « denté » sont relatifs à la structure du grain. Avec un grain corné, tout l’albumen extérieur est de type vitreux, alors qu’avec un grain denté, ce type d’albumen est réduit au niveau de la partie supérieure du grain.</center>
 
  
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À la même époque, l’italien [[A pour personne citée::Agostino Gallo|Gallo]] liste les « herbes faisans cognoistre la bonté d’un [[terroir]] » :<br/>
 +
« s’il y croist de la dent de chien, la lampe du treffle, & des mauves, veu qu’il n’y a pas une de ces herbes qui, naissant en quelque lieu, ne donne signifiance de fertilité : mais sur toutes le treffle en porte l’avantage. »(Gallo, [1569] 1572 : 4).
  
Le maïs est arrivé en Europe en mars 1493, Christophe Colomb ayant apporté des épis de son premier voyage dans les Caraïbes (Bahamas, Cuba, Saint-Domingue). Sa culture a ainsi démarré (d’abord comme une curiosité) en Andalousie, au Portugal, en Castille, d’où il est passé dans le sud de la France et en Europe. Il était cultivé dès 1554 dans le delta du Pô en Italie, et a été transporté vers l’est (Autriche, Hongrie, Roumanie) ainsi que vers l’Afrique par des marchands portugais, espagnols et italiens (vénitiens). Il s’est révélé intéressant pour l’alimentation de l’homme et des animaux (sous forme de grain mais aussi de fourrage). Mais le développement de sa culture sur de grandes surfaces a été relativement lent. Ainsi dans le sud des Landes et l’ouest des Pyrénées, il ne prend une place importante et stable aux côtés des autres [[céréale]]s que vers la fin du XVII<sup>e</sup> siècle. Au XVII<sup>e</sup> siècle (ou au XVI<sup>e</sup> ?), des formes très [[précocité | précoces]] sont introduites en France, Angleterre, Hollande et sud de l’Allemagne à partir des colonies anglaises et françaises du Canada.
 
  
Le maïs est implanté au début du XVIII<sup>e</sup> siècle surtout dans le Sud-Ouest, au sens large, et aussi dans le Centre-Est (Isère, Bresse, Alsace). [[A pour personne citée::Antoine Parmentier|Parmentier]], connu pour avoir développé la culture de la [[pomme de terre]], a aussi beaucoup contribué à l’essor de celle du maïs (voir son mémoire de 1784, où il préconise sa culture pour se mettre à l’abri des disettes et famines). En 1787, [[A pour personne citée::Arthur Young|Young]] écrit qu’il a remplacé la [[jachère]]... Il occupait 700 000 ha en 1850, mais ses surfaces ont nettement régressé à partir de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, car les [[Signification des rendements|rendement]]s en [[froment | blé]] étaient bien meilleurs (sans doute à cause de l’efficacité de la sélection chez le blé et l’inefficacité relative de celle réalisée chez le maïs par les agriculteurs). Les surfaces en maïs n’ont réaugmenté qu’après la deuxième guerre mondiale, avec la mise en place d’une politique agricole, l’utilisation de [[semence]]s hybrides de maïs sélectionnés aux États-Unis, et finalement le développement à partir de 1955-1960 de [[variétés]] [[hybride]]s précoces bien adaptées aux conditions françaises... 500 ans après les premières introductions de Christophe Colomb. Cinq siècles pour franchir les obstacles : les distances, les traditions et le [[climat]].
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Les plantes indicatrices étaient enseignées à l'école primaire en France, il y a 100 ans. Citons un manuel scolaire :
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« 37e LEÇON. — LES TERRAINS.<br/>
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(...) '''2. Terrains calcaires.''' – Ces terrains, de couleur blanchâtre, sont très perméables et les plantes y souffrent de la sécheresse en été : de plus les engrais s'y décomposent très vite. Ce sont des terrains peu fertiles où l'on cultive de préférence l'orge, le sainfoin, la vigne, etc. Certaines plantes y poussent spontanément ; ce sont le mélampyre ou rougeole, l'ononis ou arrête-bœuf, etc.<br/>
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'''3. Terrains sablonneux ou siliceux.''' - Ces terrains se laissent facilement pénétrer par l'eau, l'air et la chaleur; ce sont des terrains secs et faciles à travailler. Ils donnent des récoltes médiocres. Les terrains siliceux conviennent surtout au seigle, à la pomme de terre, à la vigne, etc. Les plantes naturelles de ces terrains sont les bruyères, les fougères, etc.<br/>
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'''4. Terrains argileux.''' - Ces terrains, qu'on appelle encore terrains glaiseux, terres grasses ou terres fortes, sont froids et humides, difficiles à travailler. Ils conviennent aux prairies naturelles et artificielles, à la culture des céréales, des choux, des féveroles, etc. Les plantes qui y croissent spontanément sont la prêle ou queue-de-renard, le tussilage ou pas-d'âne, etc. » (Dutilleul et Ramé, ''ca''. 1910 : 171-172).
  
Plante tropicale, le maïs n’était en effet pas [[adaptation | adapté]] aux printemps froids de la France et de l’Europe. Il y a d’abord eu une sorte de sélection « naturelle » pour la précocité, les agriculteurs ne retenant pour la génération suivante que les plus beaux épis arrivant à maturité. C’est cette adaptation progressive par les agriculteurs qui a amené à des populations locales. Le maïs est même « remonté » assez loin puisqu’il existait une population précoce « Etoile de Normandie ». D’autres populations sont bien connues et représentatives d’une région : Jaune d’Alsace, Blanc de Chalosse, Millette du Lauragais, Grand Roux Basque, Jaune Gros de Ruffec…
+
==Qu’est-ce qui peut être indiqué ?==
 +
Rappelons d’abord que les plantes consommées ou abîmées ont toujours indiqué aux chasseurs la présence d’un gibier invisible ; et que celles qui, pour leur pollinisation (orchidées) ou leur dissémination (gui), dépendent strictement d’une seule espèce animale, en indiquent aussi la présence.
  
Dans le monde, cette plante s’est maintenant fait une place parmi les autres céréales. On la cultive dans une grande gamme de latitudes, du Canada jusqu’à la Terre de Feu, avec une grande diversité génétique. Son nombre de feuilles, très lié à la précocité, peut aller de 8 (population Gaspé, de la Gaspésie, au Canada) à plus de 35 avec un cycle de 3 à 11 mois.
+
A peu près toute condition pédoclimatique (en y incluant l’action de l’homme : fertilisation ou épuisement, coupe, tassement du sol...) peut être <u>indiquée</u>, comme en témoigne l’extrême richesse du vocabulaire que botanistes et écologues ont créé à partir :
  
==Le développement des variétés hybrides==
+
- des suffixes –phyte (plante),  phile (aimer),  phobe ou–fuge (fuir),  cole (habiter), trophe (se nourrir) et parfois  cline (à tendance, qui préfère légèrement) ;
===L’invention des variétés hybrides===
 
====La contribution de Shull (1908-1909) : le concept de variétés hybrides====
 
Aux États-Unis, la sélection par les agriculteurs des plus beaux épis dans les populations locales est apparue d’une efficacité très limitée : les rendements de 1880 à 1930 n’ont pratiquement pas augmenté (Fig. 2).
 
  
[[Fichier:Mais teosinte aux hybrides5.jpg|thumb|alt=Origine et diffusion du maïs|center|upright=2]]
+
- de préfixes tels que : acido-, aéro-, anémo-, anthropo (lié aux activités humaines), aréni ou (ps)ammo (sable), argilo-, baso-, calci-, chiono (neige), cryo (froid), gravi (gravier), halo- (sel), hélio- (soleil), hélo- (marais), humi (humus), hygro-, limi (vase, boue), marni- (marne), méga-, méso- (moyen, au milieu), messi (moisson : terres en cultures annuelles), neutro-, nitro- (azote), oligo-, ombro- (pluie), oro (relief, montagne), photo- (lumière), phréato (eau de subsurface), pyro (feu), ripi (rive), saxi (rocher), scia (ombre), silici-, thermo-, tropo (alternance), xéro- (sec),... et leurs composés comme aérohygro-, halophréato-, hélioxéro-, mésoscia- (voir Ramade, 2008)...
<center>'''Figure 2. Effet du type de variétés sur le progrès génétique et agronomique chez le maïs aux États-Unis, entre 1865 et 1998''' (Gallais, 2009).</center>
 
  
Au début du XX<sup>e</sup> siècle, la mise en œuvre de nouvelles méthodes de sélection inspirées de celles appliquées avec succès par Louis de Vilmorin (1856) pour augmenter le teneur en sucre de la [[betterave]], n’a pas permis d’améliorer le rendement des populations de maïs. Face à cette situation, juste quelques années après la redécouverte des lois de Mendel, Shull (1908, 1909) a eu le génie de concevoir une méthode permettant de reproduire à grande échelle le plus bel épi (pour des raisons génétiques) d’une population. Cette méthode est à la base de la sélection des hybrides entre lignées. Son principe est simple :
+
Les plantes indiquent ainsi :
  
- une population maintenue par fécondation croisée, comme l’étaient les populations de maïs (Photo 4), est un mélange d’hybrides simples (résultant du croisement de deux lignées homozygotes) : en effet, chaque plante d’une population est un hybride au sens où elle résulte de la fusion d’un gamète femelle et d’un gamète mâle ; il faudrait alors pouvoir identifier et reproduire à grande échelle la meilleure plante, comment ?<br>
+
* des conditions permanentes ou constantes,
 +
* des amplitudes de variation ou battement (nappes phréatiques), des alternances journalières (jours chauds / nuits froides) ou saisonnières,
 +
* des événements réguliers (fauche, feu, pâturage),
 +
* des seuils jamais franchis ou au contraire des extrêmes ou accidents (gelées, submersion),
 +
* des cumuls ([[somme de températures | sommes de températures]] ou de froid : voir [[dormance]], [[vernalisation]])...
  
[[Fichier:Mais_teosinte_aux_hybrides6.jpg|thumb|alt=populations françaises de maïs utilisées avant 1950|center|upright=2
+
'''Attention !''' Le milieu indiqué est celui « ressenti » par la plante (parties aériennes ou racines), qui peut être très local.... et entretenu, voire créé, par la plante qui l’indique ! On trouve la myrtille (''Vaccinium myrtillus'' L.), acidophile, sur des rochers calcaires : il lui suffit qu’il y ait au-dessus un peu d’humus acide, qu’elle-même contribue à maintenir, et où se limitent ses racines.
]]<center>'''Photo 4. Différents épis d’une population de maïs cultivée en France avant 1950.'''</center>
 
  
- il suffit de 1) dériver des plantes de la population un grand nombre de lignées qui seront des sources de gamètes constantes et 2) croiser entre elles ces lignées, ce qui « régénère » les [[génotype]]s de la population de départ, mais il devient possible d’évaluer la valeur de chaque génotype et donc de sélectionner le meilleur génotype qui pourra être reproduit à partir des lignées parentales homozygotes.
+
<u>'''Reliques et témoins du passé'''</u>
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Les plantes peuvent aussi témoigner du passé. Lorsqu’un milieu change, des espèces liées aux anciennes conditions peuvent subsister un certain temps, d’autant plus long que l’usage ancien avait profondément modifié les sols. Longtemps après l’abandon de l’élevage, l’ortie (''Urtica dioica'' L.), nitrophile<ref>Voir le terme [http://fr.wikipedia.org/wiki/Nitrophyte nitrophyte] sur Wikipedia</ref>, témoigne du passage du bétail sur le bord des chemins ou de la concentration de déjections à certaines places... Et la flore herbacée de sous-bois d’une forêt actuelle peut dépendre des utilisations du sol, en particulier agricoles, d’il y a 200... ou 2 000 ans (Dupouey ''et al''., 2002 et 2007). Or, en ce domaine, <u>dépendre de</u> c’est aussi <u>indiquer</u>. Ces reliques peuvent être source aussi bien  d’informations sur le passé que d’erreurs si on interprète leur présence sans connaissance de ce passé.
  
Ce concept est donc un moyen pour reproduire un génotype quelconque d’une population ; il est équivalent au clonage d’un individu. Il s’étend facilement au croisement de deux populations. D’ailleurs, dans la pratique, les parents d’un hybride simple dérivent de deux populations différentes, se combinant bien entre elles. Cependant, de la théorie à la pratique, le développement des variétés hybrides n’a pas été simple.
 
  
====Du concept des hybrides simples aux hybrides doubles puis le retour aux hybrides simples====
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==Qu’est-ce qui indique ?==
Deux difficultés sont apparues. D’abord, du fait de la dépression de consanguinité (forte chez une plante à fécondation croisée), les lignées de maïs avaient une très mauvaise [[fertilité]], à la fois femelle et mâle, ce qui compromettait une production économique des hybrides simples. Jones (1918) résout ce problème d’une certaine façon en proposant de développer des hybrides doubles (croisement de deux hybrides simples) lorsque les deux fertilités, mâle et femelle, sont insuffisantes) ou des hybrides trois voies (croisement d’un hybride simple pris comme femelle avec une lignée prise comme mâle) lorsque seule la fertilité femelle est insuffisante. Cette méthode a toutefois l’inconvénient de ne pas permettre des performances aussi élevées qu’avec un hybride simple. Elle ne pouvait donc être que provisoire, le temps d’améliorer suffisamment par la sélection les fertilités des lignées. Aujourd’hui, dans les pays à agriculture assez intensive, les variétés de maïs sont pratiquement toutes des hybrides, ou des hybrides très proches de la structure hybride simple.
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<center>« Les infos d’un indic’ doivent toujours être vérifiées par recoupement avec d’autres infos » (sagesse policière).</center>
  
L’autre point de blocage était celui du grand nombre de combinaisons hybrides à évaluer. Les performances des hybrides doubles et des hybrides trois voies peuvent être prévues à partir de la performance des hybrides simples non parentaux. Il restait donc à prévoir la performance des hybrides simples afin de diminuer le nombre de combinaisons à réaliser à partir d’un grand nombre de lignées candidates à la sélection. La sélection sur la valeur des parents est vite apparue insuffisante, et il a fallu attendre 1942 pour avoir la formalisation d’un autre concept, celui d’aptitude à la combinaison, permettant la sélection des parents d’hybrides sur des bases [[raison, rationnel, raisonné | rationnelles]]. La valeur en combinaison d’une plante peut être définie par la valeur moyenne des descendants qu’elle donne en croisement avec beaucoup d’autres plantes. Aujourd’hui, les lignées de maïs sont sélectionnées sur la base de leur valeur en croisement avec d’autres lignées qui peuvent être de futurs parents d’hybrides.
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Pour que la présence - ou, au contraire, l’absence - d’une espèce soit indicatrice d’une chose, il faut qu’elle l’exige (lui soit <u>inféodée</u>) ou, au contraire, ne la supporte pas. Mais qu’entend-t-on par présence, et comment l’interpréter ?
  
====Avantages de l’hybride simple====
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Une graine apportée par un animal, l'eau ou le vent, ou dans du fumier... peut donner une plante qui arrive à survivre plus ou moins longtemps dans un milieu défavorable. La présence d’un seul individu, surtout s’il est chétif, n’indique donc rien : il en faut plusieurs, et vigoureux ; et les espèces pérennes, qui ont supporté les conditions de milieu (et leurs variations) sur la durée, sont des indicateurs plus sûrs que les annuelles.
L’hybride simple permet une très bonne exploitation de la variabilité du phénomène de vigueur hybride avec l’utilisation des différents effets génétiques. Il permet des performances supérieures de 15-25 % par rapport aux populations ou hybrides de populations. En effet, comme l’a remarqué Shull dès 1908, une population ou un hybride de deux populations (croisement de deux populations) peut toujours être considérée comme un mélange d’hybrides simples d’où il sera possible d’extraire un hybride supérieur à la performance moyenne du mélange. Cet avantage de productivité subsiste dans une grande gamme de conditions de culture. Pour que les hybrides soient économiquement intéressants il suffit que le prix des semences soit tel que le surcoût des semences soit inférieur au gain dû à l’augmentation de rendement. De plus, les hybrides simples présentent en général une grande stabilité de comportement dans des milieux variés : c’est le phénomène d’homéostase, lié à l’''hétérosis'', avec une supériorité plus importante en [[contrainte | milieux stressants]]. Les hybrides, avec un [[racine | système racinaire]] développé valorisent bien l’eau, l’[[azote]]... Enfin, par rapport aux populations, ils sont très homogènes (équivalent d’un seul génotype), ce qui permet de standardiser les interventions sur les cultures.  
 
  
====Conséquence : l’obligation de renouvellement des semences par l’agriculteur====
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Mais cela ne suffit pas. Des erreurs d’interprétation sont toujours possibles car « des combinaisons différentes de 2 ou plusieurs facteurs peuvent avoir la même résultante biologique » (Delpech, 1962). Souvent, la relation “condition de milieu -> espèce observée” n’est pas directe : elle peut être médiatisée :
Les graines récoltées par l’agriculteur, issues d’un hybride, sont le résultat du croisement entre plantes apparentées, voire même pour un hybride simple entre lignées pures, entre plantes génétiquement identiques entre elles, c’est donc l’équivalent d’une autofécondation. Cette reproduction entre plantes apparentées conduit à une perte de [[vigueur]] importante (Fig. 3) correspondant à une réduction de 50 % de l’hétérosis (soit 20 à 30 q/ha), ce qui oblige quasiment l’agriculteur à renouveler ses semences tous les ans. En effet en renouvelant ses semences, ce qu’il gagne en rendement fait plus que compenser le surcoût des semences.
 
  
[[Fichier:Mais_teosinte_aux_hybrides7.jpg‎|thumb|alt=Origine et diffusion du maïs|center|upright=2]]
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- soit par une autre condition de milieu - on trouve des espèces de désert sur des pentes où les pluies, pourtant non négligeables, ruissellent sans être retenues par des sols [[érosion | érodés]] à très faible [[réserve utile]] ;
<center>'''Figure 3. Illustration du gain de vigueur (H) ou hétérosis chez le maïs'''</center>
 
<center>'''par croisement de deux lignées homozygotes et effet de la multiplication de l’hybride F1'''</center>
 
<center>En passant de la F1 à la F2, l’hétérosis est réduit de moitié. Donc, un agriculteur qui ressème les grains récoltés sur un hybride</center>
 
<center>aura une perte de rendement (de 20 à 30 q/ha pour un rendement de l’hybride de 100 q/ha et avec le matériel végétal actuel).</center>
 
  
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- soit par la [[concurrence]] d’autres espèces – on a cru la pâquerette (''Bellis perennis'' L.) indicatrice de sols pauvres et secs, voire rocheux, mais sur les pelouses en ville elle côtoie le pissenlit ou dent de lion (''Taraxacum officinale'' Web., ''T. dens leonis'' Desf.), indicateur de sol frais, profond et riche ! En fait, ce dont la pâquerette a besoin, c’est de soleil, donc d’absence d’ombre de plantes plus hautes, ce qui dans la nature se trouve sur des sols pauvres et secs, mais est aussi obtenu par la tonte fréquente de la pelouse...
  
Il s’agit certes d’une perte d’autonomie, mais cette perte d’autonomie permet de mieux financer le progrès génétique puisque l’obtenteur peut ainsi amortir ses investissements dans la recherche. Cela permet aussi de développer une industrie semencière pour la production d’une semence de qualité.
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C’est donc l’ensemble de la flore qu’il faut observer, ou plus précisément l’ensemble des espèces indicatrices '''de quelque condition que ce soit''', présentes en ce lieu. Cela est encore plus vrai pour tirer des conclusions de l’absence d’espèces qu’on s’attendrait à y voir.  
  
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Tout cela exige de savoir identifier les espèces, en distinguant celles qui se ressemblent mais ne conduisent pas aux mêmes conclusions. Aujourd’hui en France, la botanique n’est plus enseignée, et le temps est proche où bien peu sauront faire ce dont était capable tout bon « ménager » du XVI<sup>e</sup> siècle, fût-il analphabète : apprécier les potentialités et aptitudes d’un terroir en regardant les plantes qui y poussent spontanément. Maintenant, il faut faire appel à un bureau d’études avec des moyens sophistiqués...
  
====Pourquoi pas des populations ?====
 
Berlan (2002) a souligné qu’une autre voie d’amélioration, évitant cette perte d’autonomie de l’agriculteur, était possible : l’amélioration des populations. Cependant, il y a plusieurs d’inconvénients à cette voie. D’abord, à court terme, il serait impossible d’atteindre des performances comparables à celle des hybrides. A plus long terme, tous les types d’effets génétiques ne pourront pas être utilisés ou plus difficilement (Gallais, 2009). De plus, les populations améliorées seront hétérogènes, et ne permettront donc pas d’optimiser les interventions sur les cultures.
 
  
Avec ce type de variétés, l’agriculteur pourrait s’auto-approvisionner, bien que cela ne serait pas sans risque (risque de pollution génétique par d’autres variétés entraînant la perte de caractères de la variété, risque d’avoir une variété encore plus hétérogène, et des semences de mauvaise qualité sanitaire, voire germinative). S’il s’auto-approvisionne, qui paiera le progrès génétique ? Dans notre système économique, les entreprises n’investissent dans la recherche que si elles peuvent amortir leurs investissements. Avec le développement de populations améliorées, il y aurait donc le risque d’un investissement moindre, voire d’un arrêt de l’investissement privé dans la sélection du maïs, entraînant le ralentissement ou l’arrêt du progrès génétique. L’autre voie serait que ce soit la recherche publique qui fasse l’amélioration des populations ; c'est donc l’Etat, c'est-à-dire le citoyen qui paierait pour le progrès génétique. Mais aujourd’hui, en France, en Europe et plus généralement dans de nombreux pays occidentaux, la recherche publique s’est retirée de la sélection du maïs, comme pour beaucoup d’autres espèces.
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==Un autre usage : la date d’un stade phénologique==
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Les plantes sont des enregistreurs de la température, qu’elles révèlent sous une forme cumulée (voir l'article [[Somme de températures|Sommes de températures]]) par la réalisation de certains stades de développement. Les dates de ces stades phénologiques, en particulier les plus visibles comme la floraison des arbres (lilas, arbres fruitiers...), ont fait l'objet de longue date de l'attention d'amateurs éclairés, souvent en complément des observations climatiques. Dans un cadre plus agronomique, les Graminées ou Poacées sont bien connues à cet égard, parce qu’elles incluent la plupart des céréales : blé, maïs, riz.... Sous réserve d’une suffisante homogénéité du matériel végétal considéré, l’observation de la date de réalisation d’un stade déterminé par une espèce donnée permet donc :
  
Ainsi dans une grande gamme de situations agronomiques, même avec des niveaux d’[[intensif]]ication très différents, les variétés hybrides apparaissent comme un moyen d’avoir un progrès important à court terme tout en assurant le financement du progrès génétique à long terme, avec la meilleure utilisation possible de la variabilité génétique.
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- dans l’espace, de réaliser une cartographie [[microclimat]]ique ou topoclimatique très fine, ce qui est particulièrement intéressant dans les régions de montagne (Fleury, 1983). On a pu l'envisager en raison d'un coût incomparablement moindre que celui de mesures météorologiques classiques ou satellitaires ; en pratique, l’information est limitée aux périodes correspondant aux stades d’espèces à la fois répandues et très bien connues ;
 
 
 
 
===Le développement des hybrides en France===
 
Après la guerre de 39-45, il y avait urgence à développer la production agricole pour être assez rapidement autosuffisant au niveau alimentaire. Dans le cadre du plan Marshall, des semences de maïs hybrides américains, assez précoces, ont été importées. Les premiers essais furent très encourageants : les meilleurs hybrides assez précoces furent identifiés : W 240, 255, 355, Iowa 4417. Ils étaient toutefois moins bien adaptés aux basses températures du printemps que les populations locales, mais ils accumulaient plus dans l’épi avec les fortes températures de l’été ; ils étaient aussi plus adaptés à des conditions de cultures un peu plus intensives, ainsi qu’à la [[mécanisation]], car plus homogènes, et plus résistants à la [[verse]]. En 10 ans, de 1945 à 1955, les surfaces sont passées de 300 000 ha à 700 000 ha avec un accroissement des rendements de 25-30 % (Cauderon, 1980).
 
 
 
Parallèlement à ces essais d’hybrides américains, l’[[Institut national de la recherche agronomique|Inra]] avait démarré des travaux de sélection du maïs en utilisant le matériel local qui apporte des caractères d’adaptation aux basses températures en combinaison avec des lignées parentes d’hybrides américains qui apporte des caractères de [[productivité]]. Sous la direction de A Cauderon, cela a alors conduit dès 1955 aux premiers hybrides précoces « franco-américains » qui vont augmenter encore les rendements de 20 %. Les hybrides précoces franco-américains (Inra 200, Inra 258, Inra 260) ont ainsi permis au maïs de franchir la Loire, ce qui a modifié beaucoup le [[paysage]] agricole français. De tels bonds de productivité sur un intervalle de temps aussi court sont rares dans l’histoire des plantes cultivées. A partir de 1965, l’Inra a stimulé le développement de la sélection privée, et a ainsi contribué au développement de l’entreprise Limagrain dont la première variété hybride LG11, un hybride trois voies, a été développée avec des lignées sélectionnées par l’Inra croisées à une lignée américaine. Les surfaces en maïs grain ont alors atteint 1 750 000 ha environ vers 1990 puis ont légèrement décru pour se stabiliser aujourd’hui autour de 1 600 000 ha.
 
  
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- dans le temps, l'observation phénologique a longtemps été seulement appliquée à l’étude de la variabilité du climat dans une perspective historique. [[A pour personne citée::Emmanuel Le Roy Ladurie|Le Roy Ladurie]] (1967) a ainsi utilisé les chroniques des dates de publication des bans de vendanges, c’est à dire de maturité du raisin. Elle a pris une importance plus grande récemment dans les recherches sur le changement climatique : il est ainsi possible de reconstituer des températures de printemps-été bien avant l’existence de mesures météorologiques (Guiot ''et al''., 2005 ; Maurer ''et al''., 2009), comme l'a illustré une étude sur la Bourgogne permettant de remonter jusqu'à 1370 (Chuine ''et al''., 2004). Pour la période actuelle ou récente, de nombreuses études « suivent » ainsi le réchauffement climatique à partir des dates de récolte ; ainsi pour les moissons (Fournier 2009) ou les dates de vendanges<ref>Indicateurs consultables sur le site de l'[http://www.onerc.org/fr/indicateurs Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique]</ref>.
  
 
==Références citées==
 
==Références citées==
*Berlan J.P., 2002. Sciences sous influence : le maïs hybride et les mythes du progrès technique. In: P. Dockès, ed., ''Ordre et désordres dans l’économie monde''. PUF, Paris, p. 200-244.
+
*Brunet R., Ferras R., Théry H., 1992. ''Les mots de la géographie''. GIP Reclus, Montpellier ; La Documentation Française, Paris, 518 p.  
*Cauderon A., 1980. Génétique, sélection et expansion du maïs en France depuis 30 ans. ''Cultivar'', 133, 13-19.
+
*Chuine I., Yiou P., Viovy N., Seguin B., Daux V., Le Roy Ladurie E., 2004. Historical phenology:  Grape ripening as a past climate indicator. ''Nature'' 432, 289-290. [http://www.nature.com/nature/journal/v432/n7015/full/432289a.html Texte intégral] sur le site de la revue.
*Charcosset A. 2009. Genomics of quantitative traits: insights into maize adaptation to Europe and prospects for marker assisted breeding. ''Conf. 52nd Annual Maize Genetics Conference''. Italie
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+
*Delpech R., 1962. Possibilité de déterminer les conditions de milieu par l’examen de la végétation (cas des prairies). In : C. Riedel, dir., ''L’étude du milieu naturel''. ''Bulletin Technique d’Information'', 172 : 735-749.
*Gallais A., 2009. ''Hétérosis et variétés hybrides en amélioration des plantes''. Quae, Versailles, 356p. [http://www.quae.com/fr/livre/?GCOI=27380100835100 Présentation] sur le site des Éditions Quae.
+
*Dupouey J.L., Dambrine E., Dardignac C., Georges-Leroy M., 2007. ''La mémoire des forêts''. Actes du colloque “Forêts, archéologie et environnement”. ONF / INRA / DRAC Lorraine, Nancy, 294 p. + DVD.
*Jones D.F., 1918. The effect of inbreeding and crossbreeding on development. ''Conn. Agric. Exp. Stat. Bull.'' 207, 1-100.
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*Dupouey J. L., Sciama D.,  Koerner W., Dambrine E., Rameau J.C., 2002. La Végétation des forêts anciennes. ''Rev. For. Fr.'' LI V, 521-532.
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*Estienne C., 1565. ''L’agriculture et maison rustique''. Paris, Jaques du Puis, 155 feuillets + Epistre + tables. [http://www.archive.org/details/lagricultureetma00esti Texte intégral] sur archive.org.
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*Fleury P., 1983. La phénologie des espèces des prairies montagnardes du Beaufortain (Savoie) utilisée comme indicatrice microclimatique et agronomique. CTHS, Paris, ''C.R. 108e Congrès national sociétés savantes, Sciences'', Fasc. 2 : 47-59.
*Shull G.H., 1909. A pure-line method in corn breeding. ''Amer. Breed. Assoc. Rep.'' V, 51-59.
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*Fournier T., 2009. ''Impact du changement climatique sur les pratiques agricoles''. Rapport de stage de master 2, INRA/ SAD Mirecourt, 30p
*Vilmorin L. (de), 1856. Note sur la création d’une nouvelle race de betterave à sucre. Considérations sur l’hérédité des végétaux. ''C.R. Acad. Sci.'', XLIII 18, 871-874.
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*Gallo A., [1569] 1572. ''Secrets de la vraye agriculture, et honestes plaisirs qu’on reçoit en la mesnagerie des champs, ... traduits en françois de l’italien par François de Belleforest''. Chez Nicolas Chesneau, Paris, 427 p.
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*Guiot J, Nicault A, Rathgeber C, Edouard JL, Guibal E, Pichard G, Till C, 2005. Last-millennium summer-temperature variations in western Europe based on proxy data. ''Holocene'', 15 (4) : 489-500.
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 +
*Le Roy Ladurie E., 1967. ''Histoire du climat depuis l'an mil''. Flammarion, Paris, 413 p.
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*Maurer C, Koch E, Hammerl C, Hammerl T, Pokorny E, 2009. BACCHUS temperature reconstruction for the period 16th to 18th centuries from Viennese and Klosterneuburg grape harvest dates. ''J. Geophys. Res.'', 114, D22106, doi:10.1029/2009JD011730.
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*Ramade F., 2008. ''Dictionnaire encyclopédique des sciences de la nature et de la biodiversité''. Dunod, Paris, 727 p.
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*Rameau J.C., Mansion D., Dumé G., 1989 et 1993. ''Flore forestière française. Guide écologique illustré''. IDF / DERF / ENGREF, Paris. T. 1 : Plaines et collines, 1989, 1785 p. ; t. 2 : Montagnes, 1993, 2421 p.
 +
*Xénophon [''ca''. 375 avant J.C] 1949. ''Économique''. Texte établi et traduit par Paul Chantraine, Les Belles Lettres, Paris, 121 p. Texte intégral (autres traductions) [http://remacle.org/bloodwolf/historiens/xenophon/economique.htm en français seul] et [http://remacle.org/bloodwolf/historiens/xenophon/economique22.htm bilingue] sur remacle.org.
  
 
==Pour en savoir plus==
 
==Pour en savoir plus==
 
====Bibliographie complémentaire====
 
====Bibliographie complémentaire====
*Beadle G.W., 1980. The ancestry of corn. ''Scientific American'' 242, 112-119.
+
Un panorama daté et géographiquement localisé (l’ex-URSS) mais riche :
*Galinat W.C., 1988. The origin of corn. In ''Corn and corn improvement'', Sprague G.F., Dudley J.W. (Eds) ASA-CSSA-SSSA, 3rd edition, WI, États-Unis, pp 1-31.
+
Chikishev A.G. (ed.), 1965. ''Plants indicators of soils, rocks, and subsurface waters''. Traduit du russe en anglais. Consultants Bureau, New York, 210 p.
*Gay J.P., 1984. ''Fabuleux maïs''. Editions AGPM, Pau, 295p.
 
*Tenaillon M.I., Manicacci D., 2009. ''Maize origins : an old question under the spotlights''. (Ouvrage en cours de publication, Editeur J.L. Prioul).
 
  
 
====Liens externes====
 
====Liens externes====
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<references/>
 
<references/>
*Le [[A pour institution citée::Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale|Centre international pour l'amélioration du maïs et du blé]] (CIMMYT), México.
 
*[http://uses.plantnet-project.org/fr/Zea_mays Zea mays] sur le site PlantUse (en français).
 
  
{{Bas de page Mots agronomie}}
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==Autres langues==
  
[[Catégorie:Espèce cultivée]] [[Catégorie:H]]
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[[Catégorie:P]] [[Catégorie:I]]

Version du 25 mai 2011 à 17:39

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Auteur : Pierre Morlon

Le point de vue de...
Pas de compléments pour cet article
Annexes de l'article
Voir aussi (articles complémentaires)
Autres langues
Anglais : indicator species, plants-indicators
Espagnol : plantas indicadoras
Informations complémentaires
Article accepté le 30 novembre 2010
Article mis en ligne le 18 janvier 2011


Définition

On appelle plantes indicatrices des espèces facilement reconnaissables dont la présence spontanée (ou, au contraire, l’absence) en un lieu donne des indications sur une ou plusieurs caractéristiques, physico-chimiques ou biologiques, naturelles ou dues à l’action de l’homme, du milieu. L’expression doit toujours être au pluriel et on devrait plutôt parler de végétation (ou d’association végétale) indicatrice car une espèce, et a fortiori une plante, ne peut être indicatrice à elle toute seule.

Outre l’agriculture, elles sont utilisées en écologie, foresterie[1] (Rameau et al., 1989, 1993), géographie (bien qu’à peine mentionnées dans Les mots de la géographie, Brunet et al., 1992), prospection archéologique[2],...

Introduction

L’expression "plantes indicatrices" qui, en agronomie, a souvent été restreinte aux propriétés des sols, semble récente (XXe siècle ?). Mais cela fait des millénaires qu’observer les plantes qui poussent dans un lieu est un moyen peu coûteux et, sous certaines conditions, sûr, d’avoir des informations sur ce qu’il peut produire.

En agriculture on a pendant très longtemps utilisé des plantes indicatrices pour connaître ce qu’on appelle maintenant le milieu naturel, sa fertilité en général, ses aptitudes culturales particulières ou plus précisément certaines contraintes ou conditions pédoclimatiques.

En Europe au moins, le milieu, de mieux en mieux connu et cartographié, n’est plus guère à découvrir – et, là où il l’est encore, on s’est habitué à faire appel à des techniques ( analyses de terre, mesures météo) certainement moins intégratrices mais d’apparence plus « objective » ou « scientifique ». Et ce milieu est de moins en moins naturel – en « grandes cultures », la flore spontanée (adventice) d’un champ dépend largement de son histoire culturale, du système de culture qui y est pratiqué : rotation ou succession de cultures, techniques de désherbage... L’utilisation de plantes indicatrices tend donc à se restreindre aux productions peu intensives comme les prairies, et à la connaissance, voire au contrôle, des modes d’exploitation et des pratiques[3] - en 1962 déjà, Delpech utilisait l'analyse floristique des prairies autant pour faire un diagnostic des modalités d'exploitation que pour connaître le milieu, affirmant que « l’influence des interventions humaines sur la végétation (mode d'exploitation, par exemple) est très profonde et parfois beaucoup plus importante que celle des facteurs naturels ».

Par ailleurs, la présence d’espèces inféodées à un milieu n’est pas seule indicatrice, la date d’un stade phénologique d’espèces communes l’est aussi, ce qui ouvre d’autres perspectives : cartographie fine du climat, suivi du changement climatique...

En agriculture, un moyen très ancien

Il y a 2400 ans, après avoir affirmé que l’agriculture est, de tous les arts, le plus facile à apprendre, le Grec Xénophon en expose les bases, à commencer par la connaissance du terrain :
« ... on peut même sur un terrain qui appartient à un autre, reconnaître ce qu'il peut ou ne peut pas produire, rien qu'à en voir les récoltes et les arbres (...) ce que la terre aime à faire croître et à nourrir. (...) Même si elle est en friche elle laisse voir encore sa nature ; celle dont les produits sauvages sont de bonne qualité peut, si on la soigne, donner aussi des produits cultivés de bonne qualité. Ainsi, même les novices en agriculture peuvent cependant discerner la nature du terrain. » (Xénophon, ca. 375 av. J.C., livre 16).


Parmi les signes certains et « reconnus par les Anciens » d'un sol gras et fertile en blés, le Romain Columelle mentionne les plantes qui y poussent (attention : la traduction des noms d’espèces des textes de l’Antiquité n’est jamais garantie !) :
« ... il y a plusieurs signes qui font reconnaître une terre douce et propre au blé, comme la présence du jonc, du roseau, du chiendent, du trèfle, de l'hièble, des ronces, des prunelliers, et de plusieurs autres plantes qui, bien connues des chercheurs de sources, ne croissent que dans les veines d'une terre douce. » (Columelle, ca. 42 ap. J.C., livre 2).


Dans la première Maison rustique, Estienne nomme des espèces que l’on dirait aujourd’hui indicatrices de conditions pédoclimatiques :
« Pour distinction de ces herbes les chardons monstrent la chaleur du terroir, (...), la seguë, l’ache sauvage, la fumeterre viennent de putrefaction ; le lizet petit & grand, procedent partie de seicheresse, partie d’alteration d’humeur. La maurelle, petite & grande, que lon nomme symphile maieur, viennent de la partie froide qu’elles tirent de l’humeur de la terre : la mercure de deux sortes, l’euphrage aussi de deux ou trois fleurs differentes, la menuë ozeille rouge par-dessous, les trois sortes de plantain tiennent du froid ou temperé... » (Estienne, 1564, 5è livre, chap. 3).


À la même époque, l’italien Gallo liste les « herbes faisans cognoistre la bonté d’un terroir » :
« s’il y croist de la dent de chien, la lampe du treffle, & des mauves, veu qu’il n’y a pas une de ces herbes qui, naissant en quelque lieu, ne donne signifiance de fertilité : mais sur toutes le treffle en porte l’avantage. »(Gallo, [1569] 1572 : 4).


Les plantes indicatrices étaient enseignées à l'école primaire en France, il y a 100 ans. Citons un manuel scolaire : « 37e LEÇON. — LES TERRAINS.
(...) 2. Terrains calcaires. – Ces terrains, de couleur blanchâtre, sont très perméables et les plantes y souffrent de la sécheresse en été : de plus les engrais s'y décomposent très vite. Ce sont des terrains peu fertiles où l'on cultive de préférence l'orge, le sainfoin, la vigne, etc. Certaines plantes y poussent spontanément ; ce sont le mélampyre ou rougeole, l'ononis ou arrête-bœuf, etc.
3. Terrains sablonneux ou siliceux. - Ces terrains se laissent facilement pénétrer par l'eau, l'air et la chaleur; ce sont des terrains secs et faciles à travailler. Ils donnent des récoltes médiocres. Les terrains siliceux conviennent surtout au seigle, à la pomme de terre, à la vigne, etc. Les plantes naturelles de ces terrains sont les bruyères, les fougères, etc.
4. Terrains argileux. - Ces terrains, qu'on appelle encore terrains glaiseux, terres grasses ou terres fortes, sont froids et humides, difficiles à travailler. Ils conviennent aux prairies naturelles et artificielles, à la culture des céréales, des choux, des féveroles, etc. Les plantes qui y croissent spontanément sont la prêle ou queue-de-renard, le tussilage ou pas-d'âne, etc. » (Dutilleul et Ramé, ca. 1910 : 171-172).

Qu’est-ce qui peut être indiqué ?

Rappelons d’abord que les plantes consommées ou abîmées ont toujours indiqué aux chasseurs la présence d’un gibier invisible ; et que celles qui, pour leur pollinisation (orchidées) ou leur dissémination (gui), dépendent strictement d’une seule espèce animale, en indiquent aussi la présence.

A peu près toute condition pédoclimatique (en y incluant l’action de l’homme : fertilisation ou épuisement, coupe, tassement du sol...) peut être indiquée, comme en témoigne l’extrême richesse du vocabulaire que botanistes et écologues ont créé à partir :

- des suffixes –phyte (plante), phile (aimer), phobe ou–fuge (fuir), cole (habiter), trophe (se nourrir) et parfois cline (à tendance, qui préfère légèrement) ;

- de préfixes tels que : acido-, aéro-, anémo-, anthropo (lié aux activités humaines), aréni ou (ps)ammo (sable), argilo-, baso-, calci-, chiono (neige), cryo (froid), gravi (gravier), halo- (sel), hélio- (soleil), hélo- (marais), humi (humus), hygro-, limi (vase, boue), marni- (marne), méga-, méso- (moyen, au milieu), messi (moisson : terres en cultures annuelles), neutro-, nitro- (azote), oligo-, ombro- (pluie), oro (relief, montagne), photo- (lumière), phréato (eau de subsurface), pyro (feu), ripi (rive), saxi (rocher), scia (ombre), silici-, thermo-, tropo (alternance), xéro- (sec),... et leurs composés comme aérohygro-, halophréato-, hélioxéro-, mésoscia- (voir Ramade, 2008)...

Les plantes indiquent ainsi :

  • des conditions permanentes ou constantes,
  • des amplitudes de variation ou battement (nappes phréatiques), des alternances journalières (jours chauds / nuits froides) ou saisonnières,
  • des événements réguliers (fauche, feu, pâturage),
  • des seuils jamais franchis ou au contraire des extrêmes ou accidents (gelées, submersion),
  • des cumuls ( sommes de températures ou de froid : voir dormance, vernalisation)...

Attention ! Le milieu indiqué est celui « ressenti » par la plante (parties aériennes ou racines), qui peut être très local.... et entretenu, voire créé, par la plante qui l’indique ! On trouve la myrtille (Vaccinium myrtillus L.), acidophile, sur des rochers calcaires : il lui suffit qu’il y ait au-dessus un peu d’humus acide, qu’elle-même contribue à maintenir, et où se limitent ses racines.

Reliques et témoins du passé Les plantes peuvent aussi témoigner du passé. Lorsqu’un milieu change, des espèces liées aux anciennes conditions peuvent subsister un certain temps, d’autant plus long que l’usage ancien avait profondément modifié les sols. Longtemps après l’abandon de l’élevage, l’ortie (Urtica dioica L.), nitrophile[4], témoigne du passage du bétail sur le bord des chemins ou de la concentration de déjections à certaines places... Et la flore herbacée de sous-bois d’une forêt actuelle peut dépendre des utilisations du sol, en particulier agricoles, d’il y a 200... ou 2 000 ans (Dupouey et al., 2002 et 2007). Or, en ce domaine, dépendre de c’est aussi indiquer. Ces reliques peuvent être source aussi bien d’informations sur le passé que d’erreurs si on interprète leur présence sans connaissance de ce passé.


Qu’est-ce qui indique ?

« Les infos d’un indic’ doivent toujours être vérifiées par recoupement avec d’autres infos » (sagesse policière).

Pour que la présence - ou, au contraire, l’absence - d’une espèce soit indicatrice d’une chose, il faut qu’elle l’exige (lui soit inféodée) ou, au contraire, ne la supporte pas. Mais qu’entend-t-on par présence, et comment l’interpréter ?

Une graine apportée par un animal, l'eau ou le vent, ou dans du fumier... peut donner une plante qui arrive à survivre plus ou moins longtemps dans un milieu défavorable. La présence d’un seul individu, surtout s’il est chétif, n’indique donc rien : il en faut plusieurs, et vigoureux ; et les espèces pérennes, qui ont supporté les conditions de milieu (et leurs variations) sur la durée, sont des indicateurs plus sûrs que les annuelles.

Mais cela ne suffit pas. Des erreurs d’interprétation sont toujours possibles car « des combinaisons différentes de 2 ou plusieurs facteurs peuvent avoir la même résultante biologique » (Delpech, 1962). Souvent, la relation “condition de milieu -> espèce observée” n’est pas directe : elle peut être médiatisée :

- soit par une autre condition de milieu - on trouve des espèces de désert sur des pentes où les pluies, pourtant non négligeables, ruissellent sans être retenues par des sols érodés à très faible réserve utile ;

- soit par la concurrence d’autres espèces – on a cru la pâquerette (Bellis perennis L.) indicatrice de sols pauvres et secs, voire rocheux, mais sur les pelouses en ville elle côtoie le pissenlit ou dent de lion (Taraxacum officinale Web., T. dens leonis Desf.), indicateur de sol frais, profond et riche ! En fait, ce dont la pâquerette a besoin, c’est de soleil, donc d’absence d’ombre de plantes plus hautes, ce qui dans la nature se trouve sur des sols pauvres et secs, mais est aussi obtenu par la tonte fréquente de la pelouse...

C’est donc l’ensemble de la flore qu’il faut observer, ou plus précisément l’ensemble des espèces indicatrices de quelque condition que ce soit, présentes en ce lieu. Cela est encore plus vrai pour tirer des conclusions de l’absence d’espèces qu’on s’attendrait à y voir.

Tout cela exige de savoir identifier les espèces, en distinguant celles qui se ressemblent mais ne conduisent pas aux mêmes conclusions. Aujourd’hui en France, la botanique n’est plus enseignée, et le temps est proche où bien peu sauront faire ce dont était capable tout bon « ménager » du XVIe siècle, fût-il analphabète : apprécier les potentialités et aptitudes d’un terroir en regardant les plantes qui y poussent spontanément. Maintenant, il faut faire appel à un bureau d’études avec des moyens sophistiqués...


Un autre usage : la date d’un stade phénologique

Les plantes sont des enregistreurs de la température, qu’elles révèlent sous une forme cumulée (voir l'article Sommes de températures) par la réalisation de certains stades de développement. Les dates de ces stades phénologiques, en particulier les plus visibles comme la floraison des arbres (lilas, arbres fruitiers...), ont fait l'objet de longue date de l'attention d'amateurs éclairés, souvent en complément des observations climatiques. Dans un cadre plus agronomique, les Graminées ou Poacées sont bien connues à cet égard, parce qu’elles incluent la plupart des céréales : blé, maïs, riz.... Sous réserve d’une suffisante homogénéité du matériel végétal considéré, l’observation de la date de réalisation d’un stade déterminé par une espèce donnée permet donc :

- dans l’espace, de réaliser une cartographie microclimatique ou topoclimatique très fine, ce qui est particulièrement intéressant dans les régions de montagne (Fleury, 1983). On a pu l'envisager en raison d'un coût incomparablement moindre que celui de mesures météorologiques classiques ou satellitaires ; en pratique, l’information est limitée aux périodes correspondant aux stades d’espèces à la fois répandues et très bien connues ;

- dans le temps, l'observation phénologique a longtemps été seulement appliquée à l’étude de la variabilité du climat dans une perspective historique. Le Roy Ladurie (1967) a ainsi utilisé les chroniques des dates de publication des bans de vendanges, c’est à dire de maturité du raisin. Elle a pris une importance plus grande récemment dans les recherches sur le changement climatique : il est ainsi possible de reconstituer des températures de printemps-été bien avant l’existence de mesures météorologiques (Guiot et al., 2005 ; Maurer et al., 2009), comme l'a illustré une étude sur la Bourgogne permettant de remonter jusqu'à 1370 (Chuine et al., 2004). Pour la période actuelle ou récente, de nombreuses études « suivent » ainsi le réchauffement climatique à partir des dates de récolte ; ainsi pour les moissons (Fournier 2009) ou les dates de vendanges[5].

Références citées

  • Brunet R., Ferras R., Théry H., 1992. Les mots de la géographie. GIP Reclus, Montpellier ; La Documentation Française, Paris, 518 p.
  • Chuine I., Yiou P., Viovy N., Seguin B., Daux V., Le Roy Ladurie E., 2004. Historical phenology: Grape ripening as a past climate indicator. Nature 432, 289-290. Texte intégral sur le site de la revue.
  • Columelle [ca. 42] 1844. Rei rusticæ libri. Texte intégral sur TheLatinLibrary. De l’Agriculture. Trad. L. du Bois, Panckoucke, Paris, 1844. Texte intégral sur remacle.org.
  • Delpech R., 1962. Possibilité de déterminer les conditions de milieu par l’examen de la végétation (cas des prairies). In : C. Riedel, dir., L’étude du milieu naturel. Bulletin Technique d’Information, 172 : 735-749.
  • Dupouey J.L., Dambrine E., Dardignac C., Georges-Leroy M., 2007. La mémoire des forêts. Actes du colloque “Forêts, archéologie et environnement”. ONF / INRA / DRAC Lorraine, Nancy, 294 p. + DVD.
  • Dupouey J. L., Sciama D., Koerner W., Dambrine E., Rameau J.C., 2002. La Végétation des forêts anciennes. Rev. For. Fr. LI V, 521-532.
  • Dutilleul J., Ramé E., ca. 1910. Les sciences physiques et naturelles. Enseignement primaire, cours moyen et supérieur. Larousse, Paris, p. 171-172.
  • Estienne C., 1565. L’agriculture et maison rustique. Paris, Jaques du Puis, 155 feuillets + Epistre + tables. Texte intégral sur archive.org.
  • Fleury P., 1983. La phénologie des espèces des prairies montagnardes du Beaufortain (Savoie) utilisée comme indicatrice microclimatique et agronomique. CTHS, Paris, C.R. 108e Congrès national sociétés savantes, Sciences, Fasc. 2 : 47-59.
  • Fournier T., 2009. Impact du changement climatique sur les pratiques agricoles. Rapport de stage de master 2, INRA/ SAD Mirecourt, 30p
  • Gallo A., [1569] 1572. Secrets de la vraye agriculture, et honestes plaisirs qu’on reçoit en la mesnagerie des champs, ... traduits en françois de l’italien par François de Belleforest. Chez Nicolas Chesneau, Paris, 427 p.
  • Guiot J, Nicault A, Rathgeber C, Edouard JL, Guibal E, Pichard G, Till C, 2005. Last-millennium summer-temperature variations in western Europe based on proxy data. Holocene, 15 (4) : 489-500.
  • Hédin L., Le Cacheux M.-T., 1950. Les espèces nitratophiles dans les prairies. Annales Agronomiques de l’INRA, Janvier Février 1950 : 115-118.
  • Le Roy Ladurie E., 1967. Histoire du climat depuis l'an mil. Flammarion, Paris, 413 p.
  • Maurer C, Koch E, Hammerl C, Hammerl T, Pokorny E, 2009. BACCHUS temperature reconstruction for the period 16th to 18th centuries from Viennese and Klosterneuburg grape harvest dates. J. Geophys. Res., 114, D22106, doi:10.1029/2009JD011730.
  • Ramade F., 2008. Dictionnaire encyclopédique des sciences de la nature et de la biodiversité. Dunod, Paris, 727 p.
  • Rameau J.C., Mansion D., Dumé G., 1989 et 1993. Flore forestière française. Guide écologique illustré. IDF / DERF / ENGREF, Paris. T. 1 : Plaines et collines, 1989, 1785 p. ; t. 2 : Montagnes, 1993, 2421 p.
  • Xénophon [ca. 375 avant J.C] 1949. Économique. Texte établi et traduit par Paul Chantraine, Les Belles Lettres, Paris, 121 p. Texte intégral (autres traductions) en français seul et bilingue sur remacle.org.

Pour en savoir plus

Bibliographie complémentaire

Un panorama daté et géographiquement localisé (l’ex-URSS) mais riche : Chikishev A.G. (ed.), 1965. Plants indicators of soils, rocks, and subsurface waters. Traduit du russe en anglais. Consultants Bureau, New York, 210 p.

Liens externes

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