Jachère - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
5 septembre 2013
Retour à l'article
Cette annexe se rapporte à l'article Jachère.

Le gouvernement des jachères, par Louis Rose (1767)

Suite au succès de son livre « La bonne Fermière », Louis Rose (1704-1776) publie en 1767 à Lille Le bon Fermier, ou l’ami des Laboureurs, qu’il introduit en affirmant : « je déclare que je ne prétends pas apprendre son métier au Cultivateur (…) On ne trouvera ici que les sentiments d’habiles & sages Laboureurs que j’ai soigneusement consultés. Ce n’est que le résultat exact de leurs longues expériences. Je me serais fait un crime de hasarder la moindre chose. Je sais trop la conséquence des erreurs en cette matière : par malheur on en trouve tant dans la plupart des livres d’Agriculture & d’économie ! Ce sont ces méprises qui font rire un Laboureur pratique & instruit. » L’ouvrage se présente sous la forme d’entretiens entre un « Amateur » qui veut apprendre l’agriculture, et un Fermier supposé, bien entendu, être des meilleurs. L’agriculture décrite est celle de l’Artois (actuel département du Pas de Calais, dans le Nord de la France), parfois comparée à celle d’autres régions : la Flandre française voisine, l’Ile de France… Le passage ci-dessous (p. 180-190) est tiré du 3e entretien, « Le bon Fermier dans la culture des Terres ». Nous avons mis en sous-titres dans le texte les indications de contenu portées en marge dans l'original, supprimé des formules de politesse et modernisé l’orthographe.


« LE FERMIER. A présent, nous voilà suffisamment préparés. Nous pouvons entrer dans le détail que vous souhaitez du labourage, & pour un moment il faudra nous supposer en pays de jachères.

De la culture par sole réglée

L’AMATEUR. Vraiment, je crois que la plus grande partie du Royaume cultive ainsi. Il n’est question du dérangement des soles qu’en quelques cantons fort peuplés, où l’on fait donner aux terres quelque production tous les ans ; mais ce n’est sans doute qu’à force d’engrais, de travail, & de dépense. On pourrait, selon moi, regarder la suppression des jachères comme une exception à l’égard d’une règle générale.

LE FERMIER. L’une & l’autre façon de cultiver a ses avantages & ses inconvénients ; mais l’on est obligé en quelque sorte à suivre l’usage du canton où l’on se trouve : car vous sentez, qu’il n’est pas possible à un Laboureur de changer seul, quand même il le voudrait, la méthode reçue dans son terroir. On ne peut guère déroger aux jachères là où elles sont établies ; parce que dans ces terroirs tout un canton est en bleds, l’autre en mars & le troisième en jachères. Si l’on voulait déranger cet ordre, on se trouverait enfermés & embarrassés les uns dans les autres, soit pour les labours, soit pour le voiturage des fumiers ; mais partout, il est possible à un bon Cultivateur de bien labourer, en faisant un bon usage de sa pratique locale, pourvu néanmoins qu’il en ait la commodité : car il faut toujours mettre cette condition qui trop souvent manque.

L’AMATEUR. Voyons donc le gouvernement des jachères.

Gouvernement des Jachères.

LE FERMIER. Vous savez, qu’on appelle jachères la sole des terres qui jouit de l’année de repos. Ces jachères doivent s’établir sur les chaumes de mars qui avaient été précédés d’une récolte en grains d’hiver. Il me paraît plus naturel de commencer nos ouvrages par les jachères, parce qu’elles doivent faire la première sole à bled d’un Fermier, par exemple, qui entreprendrait une exploitation.

Labours avant l’hiver.

Il se met à les labourer ensuite de la moisson, s’il est libre d’y travailler dès lors. Le plus tôt c’est le mieux. Il fait donc déchirer les chaumes légèrement avec la bine ou avec une autre charrue. Aussitôt que ce labour est séché, on le herse en croix. Comme un Fermier entrant n’a rien à faire que cela, il pourra bientôt après donner à ces terres un second labour léger en coupant l’autre, & en recommençant par les champs labourés les premiers.

L’AMATEUR. Quel est l’objet de ces deux petits labours ?

LE FERMIER. Ils sont principalement destinés à nettoyer la terre de toutes les mauvaises herbes de la superficie, soit celles levées, soit celles qu’ils facilitent à lever : c’est pourquoi l’on ne doit pas négliger de herser ces labours plutôt trois fois qu’une, en mettant quelques jours d’intervalle, afin de donner à ces herbes le temps de sécher. La herse est le principal instrument pour ramener les ordures au dessus du terrain & les faire mourir, & en même temps pour l’adoucir, afin de faire lever les graines. Ces précautions sont de toute nécessité, surtout dans les terrains sujets à pousser beaucoup d’herbes. C’est la raison pourquoi on ne fait ces labours que superficiels, parce que si on les donnait trop profonds, les mauvaises herbes, telles que le chiendent & autres de cette nature ne périraient pas, & les graines répandues sur la surface ne pourraient pas lever. Il est pourtant bien essentiel qu’elles le fassent : car si l’on met ces graines au fond, elles s’y conservent, & tôt ou tard, quand on renouvelle le terrain, en mettant le dessous au dessus, elles lèvent en abondance, souvent même avec tant de force dans un grain semé, qu’elles sont capables de l’étouffer. Aussi quelques Laboureurs s’étonnent de trouver quelquefois dans leurs grains quantité de ces mauvaises herbes, tandis qu’ils savent que leur labour était net, & qu’ils ont semé un grain très pur ; cela ne vient que des graines enfouies imprudemment. Ce mauvais effet ne se fait pas mieux apercevoir que dans les cantons où l’on ne sarcle pas les bleds, & où toutes les graines nuisibles viennent à leur aise à maturité. Un soin important du bon cultivateur, est de tenir toujours ses terres bien nettes.

La plupart des Laboureurs me diraient à ceci, qu’ils ne font qu’un seul de ces labours au lieu de deux. J’en conviens : mais je parle ici d’un Fermier entrant dans un nouveau marché. Il est à propos qu’il fasse ces deux labours, parce que premièrement il en a le temps, & en second lieu, parce que souvent un Fermier sortant néglige de nettoyer les terres qu’il va quitter. Il en est autrement d’un Fermier qui continue une exploitation ; il s’en tient d’ordinaire à un seul de ces labours, quoiqu’il sente qu’il serait bien de les donner tous les deux, s’il en avait le loisir.

L’AMATEUR. Et si nonobstant ces deux labours, on ne voyait point encore la terre suffisamment nette.

LE FERMIER. Il serait à propos d’en redonner un troisième un peu plus profond, & de le laisser ouvert. Ce labour doit se faire à quelque intervalle des précédents, c’est à dire vers la fin d’Octobre, afin de donner aux herbes le temps de lever. Puis on laisse ainsi sa terre passer l’hiver.

L’AMATEUR. Comment, on ne donne donc pas un grand labour, le plus profond qu’il se puisse avant l’hiver, afin de renouveler la terre de fond & de la faire mûrir par les gelées ?

LE FERMIER. Non, nous ne le faisons pas pour jachères ; on s’en trouverait mal à cause des raisons que je viens de vous dire. J’aurai l’honneur de vous expliquer plus tard le moment où il est à propos de faire ce renouvellement, & comment on s’y prend pour cela. Quant à présent suivons, s’il vous plaît, nos jachères.

Labours après l’hiver

Aussitôt que l’hiver est passé, & que la terre est bien ressuyée, on la herse jusqu’à deux & même trois fois, s’il en est besoin, toujours en coupant diversement, jusqu’à ce que la terre soit parfaitement adoucie & aplanie. Ces hersages achèvent de faire lever les petites herbes, & déracinent celles qui sont levées. On la laisse reposer huit à dix jours. C’est le temps alors d’enlever les bordures trop hautes & les bouts de champs où l’on tourne la charrue. On transporte ces terres neuves dans les endroits les plus appauvris. Elles les bonifient. Cela fait, on aplanit ce répandage, & le tout étant bien hâlé, on donne à la terre un labour médiocrement profond. Quand il est bien hâlé aussi, on le herse : car observez, que tout labour ou hersage par le hâle, est le meilleur pour détruire les herbes. [hâle = effet du soleil ou temps ensoleillé]

L’AMATEUR. N’est-ce pas ce premier labour après l’hiver qu’on appelle guéreter ?

LE FERMIER. Nous autres, nous nommons cela jachérage. On laisse ainsi reposer la terre jusqu’à ce qu’elle soit bien rassise & reliée. Environ la mi-Mai, après la semaille de Mars, on lui donne la raye forte ou le labour de fond, que nous appelons retaillage, ayant soin toujours de couper le labour précédent. Ce retaillage étant reposé de quelques jours, on en aplanit la surface avec le dos de la herse à trois barres, ou bien avec une autre, pour remplir les vides, & afin que la sécheresse ne durcisse point trop le labour, ce qui empêcherait les petites herbes de lever.

On laisse la terre en cet état jusques vers la St. Jean. C’est le temps d’y voiturer les fumiers. On les épand, & on les enfouit de suite, par beau temps, au moyen d’un labour léger. Il faut avoir soin, si ce fumier n’était pas assez pourri, de le faire mettre à la fourche au fond du sillon par un ouvrier qui précédera la charrue. Après quoi, l’on aplanit de nouveau, tant pour empêcher la sécheresse de pénétrer, que pour aider les graines qui se trouvent dans la terre & dans le fumier à lever toutes.

L’AMATEUR. Doit-on la laisser longtemps en cet état ? Sans doute il y a encore quelques préparations à lui donner avant la semaille ?

LE FERMIER. On laisse ainsi reposer jusques dans le mois d’Août. Alors on donne un dernier & léger labour à demeure avec la charrue, en disposant la terre par bandes de dix pieds, avec une raye ouverte entre chaque bande. Ce dernier labour sert à extirper les herbes que le fumier peut avoir fait pousser, & à mélanger d’autant mieux ce fumier avec la terre. Ce labour-ci peut se laisser ouvert jusqu’au temps de la semaille.

Telle est la façon de labourer les jachères qu’on veut semer à la herse ; mais dans les cantons où l’on couvre le grain à la charrue ou à la bine, on peut donner ce dernier petit labour à la bine, & laisser ainsi la terre à plat, jusqu’à ce qu’on la sème.

Observez une chose ; s’il arrivait que malgré ces différents labours, il vint à pousser par trop de ces grandes & mauvaises herbes, comme chardons & autres qui dégraissent beaucoup la terre, il ne faudrait pas s’en tenir aux labours ordinaires, sur le prétexte qu’on lui a donné tous ses tours, comme disent nos routiniers. C’est un abus trop commun parmi les négligents & les mauvais Laboureurs. On doit au contraire alors doubler les labours. Il est indispensable de tenir ses terres dans la dernière netteté, puisque les herbes inutiles l’usent autant que font les grains. Au reste, on retrouve abondamment dans la moisson l’intérêt des avances qu’on a faites pour bien labourer ses terres.

Voici maintenant, que notre jachère a reçu toutes ses préparations ; la terre est entièrement disposée jusqu’au temps de la semaille, dont nous dirons la manière plus tard ; & telle est la bonne façon de gouverner toute jachère dont on veut tirer une bonne récolte.

De la suppression des Jachères.

L’AMATEUR. Mais, ne pourrait-on point les supprimer ces jachères ? Les terres ne portant rien dans cette année de repos, n’est-ce pas pour l’Agriculture un tiers de terrain en pure perte ?

LE FERMIER. Cette suppression de jachère est possible ; mais il n’est pas à conseiller de la faire totale. Car malgré tout le travail & tous les soins qu’on peut employer, il est des terres qui s’épuiseraient, & d’autres où les herbes prendraient le dessus au point qu’on n’en viendrait plus à bout.

Par rapport à la perte du terrain qui reste une année en repos, ce n’est que pour mieux produire ensuite ; ainsi, cette perte n’est pas aussi réelle qu’on pourrait le croire à l’apparence. Les grains qui proviennent des jachères sont bien plus abondants, plus fournis, plus puissants ; aussi sont-ils toujours préférés dans les marchés, parce qu’en effet ils sont les plus pesants & les plus farineux. D’ailleurs, on sait que la culture à sole réglée est beaucoup moins fraieuse [coûteuse] pour le Laboureur, que celle sans assolement. »


Bandeau bas MotsAgro.jpg