Ados, billon, planche de labour : les mots - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
27 janvier 2020
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Cette annexe se rapporte à l'article Ados, billon, planche de labour : les mots.

Les noms de la planche en Europe (Baulig, 1949)

Ndlr : Le texte dont nous donnons ici des extraits a été écrit par un géographe fin connaisseur du travail agricole. Pour la clarté de la lecture, nous avons explicité des abréviations ; mis en italiques les mots anciens, patois ou étrangers, en supprimant les guillemets ; remplacé, par exemple, « quatre-vingt dix mètres » par « 90 m » ; et retiré les notes et la plupart des références bibliographiques.


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L’unité de longueur, portée au carré, fournit l’unité de surface (…). Mais, au-delà de ces dimensions et pour les champs allongés, il faudra une unité de largeur : ce sera tout naturellement celle de la planche de labour – et dans certains cas, celle de la planche d’ensemencement, qui d’ailleurs coïncide souvent avec la précédente – ou un multiple ou sous-multiple de cette largeur. Dans les régions méditerranéennes elle varie de 6 à 10 pieds, c'est-à-dire en gros de 2 à 3 m ; dans les pays du Nord, malgré de grandes variations locales, elle se tient plutôt entre 15 et 25 pieds, soit aux environs de cinq, six ou sept mètres.

Cette longueur-unité porte des noms très divers, mais qui reviennent tous au sens de perche, gaule – la perche pouvant, dans certaines régions, être remplacée par la corde. On a donc : grec akène, ogye ; lat. pertica ou decempeda ; ital. pertica, canna (roseau), trabucco (lat. trabs, poutres), trafo ; fr. perche, verge, gaule, haste, pique, canne, latte, lance ; en Italie la largeur de la planche de labour est parfois la lenza ; angl. perch, pole, rod, lug, yard, goad ; all. Rute, Gerte, Stange (qui semble rare) ; suéd. stang ; norv. et dan. rode, etc. Or plusieurs de ces mots désignaient primitivement l’aiguillon du bouvier : grec akène ; lat. pertica ; fr. haste, hate (du Cange, v° asta, hasta : « une haste ou aiguillade à toucher les bœufs ») ; presque sûrement aussi lance et pique (l’aiguillon s’appelle aussi pique-bœufs) ; all. gerte ; angl. goad ou gad, probablement traduit par virgo ferrea (du Cange). Bien que je n’aie point trouvé le mot pike au sens de mesure agraire, on peut signaler que le mot perk (perche) dans certaines contrées se prononcerait peek, et que to pike signifie « to measure and mark out land for the plough », ce qui paraît indiquer que le laboureur, avant de commencer son travail, marquait sur le sol, à l’aide de son aiguillon, la largeur de la planche à faire.

(…)

La planche de labour porte des noms très divers, soit purement descriptifs, soit métaphoriques. Pour en bien saisir le sens, il faut avoir présents à l’esprit certains détails techniques. La charrue à versoir fixe, qui a été celle des pays du Nord jusqu’au XIXe siècle, versant la terre d’un seul côté, ordinairement à droite, oblige à tourner toujours dans le même sens, donc à faire des planches. On peut commencer, enrayer, par le milieu : la tranche de terre extraite de la première raie est recouverte par celle provenant de la seconde ; il se forme ainsi un ados ou enrue (ital. costa ; all. grat ; angl. ridge) ; puis la terre de chaque raie suivante est versée dans la raie précédente, et la planche s’élargit peu à peu : quand le travail est terminé, quand on « ferme , il reste de chaque côté de la planche une raie creuse, dérayure, fente, ou refendis. Cela s’appelle « labourer en adossant » (ital. costeggiare ; all. zusammenpflügen ; gräten ; angl. gathering. – Si on répète l’opération en partant toujours du même endroit, l’ados se bombe et la dérayure s’élargit à chaque fois. Pour ne pas dépasser la juste mesure, on devra ou bien déplacer la planche en enrayant sur la précédente dérayure, ou bien « labourer en pendant » (all. auseinanderpflügen ; angl. casting down) : on commence alors par les bords de la planche et, versant à droite, on tourne à gauche ; à la fin du travail, il reste au milieu une double raie creuse.

La planche ne peut évidemment dépasser une certaine largeur sous peine d’imposer à l’attelage, parvenu aux deux extrémités du champ, une fatigue inutile. Mais on peut avoir d’autres raisons de faire des planches étroites à fort relief ; les dérayures facilitent l’écoulement des eaux ; aussi dans les terres fortes les planches sont-elles nettement bombées ; – d’autre part, si le sol est mince et si les plantes cultivées ont des racines ramifiées et profondes, il peut y avoir intérêt à accumuler sur l’ados la terre empruntée aux raies latérales : ce procédé était appliqué couramment en Italie à la culture du maïs et dans le nord de la France à celle du colza (ruotage) ; – mais la raison la plus générale, au moins dans les régions de champs ouverts, est de mieux accuser les limites des parcelles et de prévenir les empiètements des voisins, les vols de terre, sans doute aussi, quelquefois, de permettre l’opération inverse. De toute manière, la charrue (à versoir) fait nécessairement des planches.

Il n’en va pas de même de l’araire : ne retournant pas la terre, mais la refoulant latéralement, même quand il est pourvu d’oreilles doubles (« binae aures », dit Virgile), il permet le labour raie contre raie, en « boustrophédon ». Cependant les Romains labouraient en planches, porcae, soit pour y accumuler la terre (exaggerare), soit pour égoutter les terres grasses des plaines. Le dernier labour, suivant immédiatement les semailles, s’appelait lirare parce qu’il s’achevait par le recreusement des dérayures ou lirae.

Les noms qui désignent la planche de labour dans les différentes langues éveillent des idées assez voisines les unes des autres et cependant distinctes. Tantôt c’est l’idée simple de labour : fr. areure, arie, èrie ; ital. arada, presa ; gascon prèsa (cf. all. bifang) ; all. Gewend, Gewand ; angl. furlong, shot ou shut, samcast (versé en adossant) ; ou plus vaguement, angl. lands, all Gelände, Ländle. – D’autres expressions équivalent à bande : all. Streifen ; angl. strip, stripe, stitch, stetch ; ital. benna ; fr. ourdai, ordon (Vosges, ourdrei (lat. ordinem), peut-être bourdon, bordon, et, par métathèse, (?) darbon, peut-être marde et margot. – Des expressions un peu imagées suggèrent l’idée de planche, de lit : fr. planche, all. Bett, Bettel, Beet : angl flat, lay ou ley ; flamand laag, fr. local lâgue ; gascon platain ; ital. piana ; – ou celle de banc : fr. abanquer ; – ou celle de poutre : angl. balk ; all. Balke(n), Trabe (?) ; ital. trafo. – D’autres termes se réfèrent à la forme bombée de la planche : fr. ados, condos ; angl. ridge, rig, butt opposé à flat ; all. Rücken, Hochbeet, Hochacker ; ital colmo, cola ; – ou bien la comparent à un tronc d’arbre : fr. billon, balive, au dos du cheval : fr. chevau, cavalet, cabaillon ; ital. cavalina ; ou enfin, pour une raison obscure, à la truie : lat. porca, sporcadura (la dérayure). (…)

Références citées

  • Baulig H., 1949. La perche et le sillon : mots et choses. In : Mélanges de Philologie romane et de Littérature médiévale, offerts à Ernest Hoepffner… Les Belles Lettres, Paris, 1949 : 139-145. Texte intégral sur Googlebooks.
  • Du Cange, 1678. Glossarium mediæ et infimæ latinitatis. Édition de Favre, 1883-1887, 10 vol. : consultable et cherchable en mode texte par l'École nationale des chartes ; en mode image sur Gallica) et enfin au format PDF (images téléchargeables, 7 vol. sur le site de l'Université de Stanford.
  • Du Cange, 1688. Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ græcitatis; accidit appendix ad glossarium mediæ et infimæ latinitatis, una cum brevi etymologico lingæ gallicæ ex utroque glossario. Paris, 2 vol.
  • Grimm, Deutsches Wörterbuch.


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