Une histoire de l'évapotranspiration - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
1er mars 2017
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Cette annexe se rapporte à l'article Une histoire de l'évapotranspiration.

De la transpiration des plantes (Duhamel du Monceau, 1758).

((Note de la rédaction des Mots de l'agronomie : de façon exceptionnelle, nous reproduisons un texte très long, car il présente un panorama fort clair des travaux sur le sujet à l’époque : quelles questions, quelles observations, quelles conclusions.))

CHAPITRE III. De la transpiration des plantes

On sait qu’indépendamment des gros excréments dont les animaux se déchargent, leurs liqueurs se dépurent encore, & fournissent d’autres évacuations connues sous les noms de transpiration sensible, & transpiration insensible.

Comme les végétaux tirent de la terre, au moyen de leurs racines, que l’on peut comparer aux veines lactées des animaux, leur nourriture toute digérée ; & comme la sève, ainsi pompée par les racines, peut être comparée au chyle, il s’ensuit que les végétaux n’étant point dans le cas de se débarrasser des gros excréments, & que leur sève, ainsi que le sang des animaux, ayant besoin d’être dépurée, elle doit fournir des sécrétions particulières, que l’on doit comparer aux transpirations sensibles & insensibles des animaux. Plusieurs expériences & quantité d’observations prouvent que les plantes sont soumises à ces sécrétions, & qu’elles paraissent même plus essentielles à l’économie végétale qu’à l’économie animale.

On est donc convenu depuis longtemps que les plantes transpirent ; c'est-à-dire, qu’une partie des sucs qui sont contenus dans leurs vaisseaux, se dissipe par une transpiration sensible ou insensible. On sait encore que les végétaux transpirent, non seulement par leurs feuilles, mais encore par les jeunes branches, par les fleurs & par les fruits. Comme les feuilles doivent être regardées comme les principaux organes de la transpiration, j’ai cru qu’il était à propos d’en parler dans ce chapitre, où je me suis proposé l’examen d’un organe qui est singulièrement destiné à opérer cette sécrétion. Ce sera l’objet des deux articles suivants.

ARTICLE I. De la transpiration insensible des Plantes.

Pour prouver en général que les plantes transpirent, il suffit de couper une branche d’arbre, de mastiquer le bout coupé & de la peser. On verra, quelques jours après, qu’elle a perdu une partie de son poids, & que les feuilles se fanent. On doit donc conclure qu’une partie de sa substance s’est dissipée par une transpiration insensible, puisque rien n’a pu s’échapper par le bout coupé ; le mastic n’ayant permis aucune dissipation de substance. Mariotte qui a fait cette expérience, a trouvé qu’il s’était échappé d’une branche qu’il y avait employée, deux cuillerées d’eau dans l’espace de deux heures d’un temps fort chaud ; il en conclut qu’en 12 heures il aurait dû y avoir une dissipation de douze cuillerées d’eau. On pourrait cependant refuser d’admettre cette observation comme une preuve de la transpiration des plantes ; car si la transpiration est une dissipation de certains sucs, & qu’elle résulte d’une sécrétion, elle suppose des organes propres à l’opérer ; & l’on pourrait dire que, dans la branche coupée, l’évaporation qui diminue son poids, se fait sans le secours d’aucun organe, & de la même manière que l’humidité s’échappe d’un linge mouillé. Mais si ces considérations générales ne paraissent pas suffisantes, il y a des expériences qui prouvent incontestablement cette sécrétion. Nous avons introduit un bouquet de feuilles & la branche qui le supportait, dans des globes de verre qui empêchaient la liqueur de la transpiration de se dissiper. Cette manœuvre nous a mis à portée de ramasser plusieurs cuillerées de cette liqueur, sur laquelle nous avons fait ensuite quelques expériences, pour reconnaître quelle était sa nature ; mais comme toutes nos recherches n’approchent pas de l’exactitude de celles qui ont été faites en premier lieu par l’illustre M. Hales, & ensuite par MM. Bonnet et Guettard, nous nous contenterons de rapporter en abrégé les expériences de ces célèbres Physiciens, & nous le faisons avec d’autant plus de confiance, qu’ayant répété une partie des expériences de M. Hales, nous avons eu la satisfaction d’en reconnaître l’exactitude.

Au commencement du mois de Juillet, M. Hales prit un soleil (Corona solis) de la grande espèce, qu’il avait élevé à dessein dans un vase de terre : cette plante avait alors trois pieds de hauteur (Voyez Fig. 112)

Fig. 112

Pour prévenir l’évaporation de l’humidité de la terre contenue dans le vase, il appliqua au bord du vase une platine de plomb laminé qu’il eut soin de bien mastiquer : elle couvrait toute l’ouverture, & embrassait exactement la tige du soleil, en sorte que l’humidité de la terre ne pouvait s’échapper ; il avait, outre cela, soudé à cette platine deux tuyaux ; dont l’un, fort étroit & de neuf pouces de longueur, se trouvait placé tout près de la tige ; ce tuyau qui était destiné à conserver une communication de l’air extérieur avec celui qui était contenu dans le vase, restait ouvert.

L’autre tuyau qui avait deux pouces de longueur sur un pouce de diamètre, servait à introduire les arrosements ; & l’on avait soin de le tenir exactement fermé quand on n’arrosait pas ; enfin les trous du fond du vase avaient été fermés avec précaution. Le pot & la plante étaient pesés soir & matin, pendant quinze jours consécutifs du mois de Juillet, pour connaître combien il pouvait s’échapper d’humidité par la transpiration. Mais comme le vase était d’une terre poreuse & perméable aux vapeurs, il était à propos de connaître combien il s’échappait d’humidité par les pores, afin de soustraire cette évaporation étrangère, de l’évaporation qui se faisait par la plante.

C’est dans cette vue, qu’après les quinze jours d’expérience, M. Hales coupa la tige de ce Soleil au raz de la platine de plomb, & qu’il ferma avec du mastic l’ouverture par où passait cette tige. Alors continuant de peser le vase, il reconnut que la transpiration étrangère à la plante était, en douze heures de jour, de deux onces, qu’il fallait soustraire de l’évaporation qui avait été observée pendant les quinze jours que le pot et la plante avaient été pesés.

Cette rectification étant faite, il résulta de l’expérience que la plus grande transpiration, pendant douze heures d’un jour fort sec & chaud, était d’une livre quatorze onces ; & que la transpiration moyenne était d’une livre quatre onces, ou 34 pouces cubiques, si l’on convient qu’un pouce cube d’eau pèse 254 grains.

Quand les nuits étaient chaudes, sèches & sans rosée, l’évaporation allait jusqu’à trois onces ; mais on ne remarquait point d’évaporation lorsqu’il y avait eu de la rosée ; au contraire, s’il y avait une rosée abondante, ou s’il tombait un peu de pluie pendant la nuit, le poids du pot & de la plante augmentait de deux à trois onces. Ceci a rapport à l’imbibition des plantes dont nous parlerons dans la suite.

Puisque les feuilles doivent être regardées comme le principal organe de la transpiration, il est probable qu’une plante transpirera plus qu’une autre de même espèce, dans les mêmes circonstances, toutes les fois que la surface de ses feuilles aura plus d’étendue ; c’est pour cela que M. Hales avait pris la précaution de mesurer la surface de toutes les feuilles du soleil de son expérience, en les plaçant successivement sous un réseau dont les mailles étaient d’une grandeur qui lui était connue : il trouva par ce moyen que la surface de toutes les feuilles & des tiges de ce soleil était égale à 5616 pouces carrés.

Une autre fois M. Hales arracha, avec précaution, un pied de Soleil, qui était à peu près de la même grosseur que celui de la précédente expérience.

Après avoir reconnu, par des méthodes d’approximation, que la surface des racines de cette plante était égale à 2286 pouces carrés, ce qui fait 3/8 de la surface des parties de la plante qui étaient hors de terre, il en conclut que la vitesse avec laquelle la sève entre par les racines pour réparer la transpiration, est à la vitesse par laquelle la transpiration s’échappe par les parties de la plante qui sont hors de terre, à peu près comme cinq est à deux. En effet, il est évident que la vitesse des sucs qui entrent dans les plantes par la surface des racines, comparée à la vitesse de la transpiration qui sort par la surface des feuilles, est en proportion réciproque des surfaces des racines & des feuilles ; la quantité des sucs aspirés devant être à peu près égale à la quantité des sucs qui s’échappent par la transpiration.

M. Hales se propose ensuite une comparaison qui ne sera, si l’on veut, que simplement curieuse ; c’est celle de la transpiration du Soleil qui a fait le sujet de son expérience, avec la transpiration du corps humain : il la conclut comme 50 est à 15 ; c'est-à-dire, que si dans un temps fixé la transpiration de ce Soleil est, par exemple, de 15 onces, celle de l’homme est dans ce même espace de temps de 50 onces : il attribue la cause de cette différence à ce que la chaleur est beaucoup plus grande dans les animaux que dans les végétaux. En effet, dit-il, la chaleur des végétaux n’excède guère celle de l’atmosphère, laquelle ne s’étend, tout au plus, qu’à 35 degrés au dessus du terme de la glace ; au lieu que la liqueur d’un thermomètre, tenu pendant quelque temps sous l’aisselle d’un homme sain, monte jusqu’à 54 degrés, & que celle du sang est de 64 degrés, qui est le terme de la chaleur de l’eau dans laquelle on a peine à tenir la main en mouvement sans se brûler. Il est constant qu’il s’élève beaucoup de vapeurs de l’eau échauffée jusqu’à ce degré.

L’expérience de M. Hales lui a fourni encore une réflexion intéressante & plus exacte ; la voici : Suivant le Docteur Keill, un homme prend 4 livres 8 onces d’aliments solides ou liquides en 24 heures : le poids de ses excréments est de 5 onces ; ainsi les matières extraites des aliments pour sa nourriture, sont réduites à 4 livres 3 onces. On a prouvé que le Soleil attire dans un pareil espace de temps, 1 liv. 6 onces. Mais il est important de faire attention, tant à l’égard de la nourriture, que par rapport à la transpiration, que la plante de Soleil, qui faisait l’objet de l’expérience de M. Hales, a beaucoup moins de masse qu’un homme : & si l’on suit le calcul que ce célèbre Physicien a fait, on verra qu’à masses égales, cette plante tire & transpire 17 fois plus qu’un homme. Cette prodigieuse transpiration est d’autant plus nécessaire que les plantes n’ont que cette seule voie pour se décharger de ce qui devient inutile pour leur nourriture : il était donc nécessaire que les feuilles eussent de grandes surfaces pour suffire à cette sécrétion ; au lieu que l’homme, outre cette faculté de transpirer, a encore l’évacuation des gros excréments, des urines, de la salive, de ce qui s’échappe par les narines, par la respiration, etc. Il paraîtra peut-être étonnant que les plantes tirent de la terre une aussi grande quantité de substance ; mais il est probable qu’elle n’est pas aussi nourricière que le sont les aliments que prennent les hommes, quoique la sève tirée par les pantes, soit une espèce de chyle, qui ne doit fournir aucune matière de gros excréments.

Ces réflexions font apercevoir que la transpiration qui influe certainement sur l’état de santé ou de maladie des hommes, est encore tout autrement importante à l’économie végétale ; & que son excès, ou sa diminution, doivent causer des maladies aux plantes. Nous aurons occasion d’en parler dans la suite.

M. Hales ayant répété cette même expérience sur un chou de moyenne grosseur, la transpiration moyenne fut de 19 onces. La surface de la tête de ce Chou se trouva être de 19 pieds, ou de 2736 pouces carré : la surface des racines fut estimée être d’environ 256 pouces carrés ; & l’aire de la coupe horizontale du tronc, de 100/156 de pouces carrés, d’où notre Auteur conclut, qu’il faut nécessairement que la sève entre dans les racines des plantes, avec 11 fois plus de vitesse qu’elle ne sort par les feuilles ; & que la vitesse de la sève dans le tronc, abstractions faite de la circulation, & n’ayant égard qu’à ce qui s’échappe par la transpiration, est à la vitesse de cette sécrétion qui s’échappe par les feuilles, comme 4268 est à 1, même en supposant que le tronc du Chou est un tuyau creux ; & l’on n’exagérera point, si l’on diminue ce canal d’un quart, pour les parties solides qui y sont renfermées ; ce qu’on pourra évaluer assez précisément, si l’on dessèche parfaitement un morceau du tronc d’un Chou : car on connaîtra, par ce qui restera de poids, combien il renferme de parties solides. Ce n’est pas tout ; comme il est probable que la sève passe dans les plantes, réduite en vapeurs, ou du moins dans un grand état de raréfaction, sa vitesse doit augmenter en proportion directe de l’espace qu’occuperait une pareille quantité d’eau qui serait réduite en vapeurs ; en sorte que si de l’eau réduite en vapeurs occupe dix fois plus d’espace, il faut conclure que la sève passera dans le tronc avec dix fois plus de rapidité que nous avons dit.

M. Hales, après avoir répété ces mêmes expériences sur la Vigne, sur un Pommier de paradis, sur un Citronnier, sur des arbres qui ne quittent point leurs feuilles, conclut de toutes ces expériences, que la transpiration de toutes ces plantes, dans des surfaces égales & à des temps égaux, n’est rien moins qu’uniforme ; & que constamment les arbres qui ne quittent point leurs feuilles, transpirent beaucoup moins que les autres.

M. Miller a élevé à Chelsea, dans des vases vernissés & dont le fond n’était pas percé, un pied de Musa, un Aloès, & un Pommier de paradis : il avait couvert le dessus de ces vases d’une platine de plomb, garnie de tuyaux semblables à ceux de l’expérience de M. Hales. Depuis le 27 Mai jusqu’au 4 Juin il a pesé chaque jour ces trois vases, à six heures du matin, à midi & à six heures du soir : au moyen de ces précautions, il était assuré que toute l’évaporation avait dû se faire par les pores de ces plantes. Il les avait tenu, tantôt dans une serre fort chaude, & tantôt dans un cabinet exposé au nord, percé de deux croisées que l’on laissait ouvertes, où le soleil ne donnait jamais, & que le vent traversait en liberté. Comme on peut voir dans l’ouvrage de M. Hales le journal détaillé de cette expérience, nous ne rapporterons ici que les conséquences qu’on peut tirer, soit de cette expérience, soit de celle de M. Hales.

  • 1°. La transpiration, toutes choses égales d’ailleurs, est proportionnelle aux surfaces transpirantes ; ainsi plus les plantes de même espèce ont de feuilles, plus elles transpirent ; & comme les feuilles ont beaucoup de surface, par proportion à leur masse, on conçoit qu’elles doivent beaucoup plus transpirer que les autres parties des plantes.
  • 2°. La différente température de l’air influe beaucoup sur la transpiration ; le froid, l’humidité la diminuent ou la suppriment entièrement ; bien plus, quand il pleut, ou quand les rosées sont abondantes, il peut arriver que les plantes en restent chargées ; c’est pour cette raison que les plantes qui sont exactement couvertes par des cloches, ne se fanent point, d’autant que, comme elles se trouvent dans une atmosphères humide, elles transpirent peu ; mais comme on est obligé de soulever de temps en temps la cloche qui les couvre, pour ranimer la transpiration, alors elles ne tardent pas à se faner.
  • 3°. Un jour, l’air ayant été chaud & le Ciel serein, M. Miller remarqua, le lendemain matin, de grosses gouttes d’eau qui sortaient du bout de feuilles du Musa.
  • 4°. Lorsque les plantes que M. Miller avait mises en expérience restaient dans une serre chaude, la grande transpiration se faisait ordinairement depuis six heures du matin jusqu’à midi.
  • 5°. Soit que les plantes fussent dans la serre chaude, soit qu’elles fussent dans le cabinet exposé au nord, la moindre transpiration se faisait presque toujours pendant la nuit : souvent elle était nulle ; quelquefois ces plantes imbibaient l’humidité de l’air, & alors elles augmentaient de poids, ce qui était bien plus sensible dans l’Aloès que dans les autres plantes.
  • 6°. Une transpiration trop abondante fatigue certaines plantes, surtout quand leurs racines ne trouvent pas assez d’humidité dans la terre pour réparer cette déperdition de substance. C’est pour cela que nous voyons, dans le temps même que tout est favorable à la transpiration, que les feuilles & les jeunes pousses se flétrissent pendant le jour ; mais elles se réparent pendant la nuit, lorsque la transpiration cesse, ou qu’elle est considérablement diminuée.
  • 7°. La transpiration interceptée pendant un long espace de temps cause des maladies aux plantes : certaines en souffrent plus que les autres.
  • 8°. En général, une plante qui est vigoureuse & qui pousse avec force, transpire plus abondamment qu’une qui languit.
  • 9°. Les observations sur la transpirations font voir pourquoi l’on est obligé de retrancher beaucoup de branches à un arbre qu’on transplante ; en effet, puisqu’il faut une certaine quantité de racines pour réparer la déperdition des sucs qui se fait par la transpiration, il est évident qu’il convient de retrancher des branches ou des organes de la transpiration, proportionnellement à la quantité de racines qu’on est obligé de couper à un arbre qu’on transplante.
  • 10°. Ces observations font connaître encore pourquoi une branche que l’on coupe pour en faire des écussons, ne tarde pas à perdre sa sève, si on lui conserve ses feuilles ; ce qui n’arrive pas quand on retranche ces mêmes organes de la transpiration.
  • 11°. Enfin on conçoit pourquoi les plantes des pays chauds, qui transpirent beaucoup, sont plus aromatiques que celles du nord.

Les connaissances qu’on a acquises jusqu’à présent sur al transpiration, fourniraient encore bien des observations utiles à l’Agriculture ; mais pour éviter els répétitions, nous croyons devoir remettre à en parler lorsque nous traiterons des cas particuliers où elles pourront avoir leur application.

Il est maintenant bien prouvé qu’il s’échappe des plantes beaucoup de liqueur, par la transpiration insensible. Nous aurons dans la suite occasion de faire voir quelles sont les parties des plantes qui contribuent davantage à cette sécrétion ; mais nous croyons devoir faire connaître ici de quelle nature elle est. Comme cette liqueur s’échappe naturellement des plantes qui sont vigoureuses, & que les végétaux souffrent sensiblement quand cette évacuation est interceptée, on est porté à regarder la matière de cette transpiration, ou comme un excrément dont les plantes ont besoin d’être débarrassées, ou du moins comme un suc surabondant qui pourrait leur être nuisible. Mais ces idées générales, quoique vraies, ne nous en donnent pas d’assez précises sur la nature de cette liqueur. Pour connaître sa nature, il fallait la soumettre à des observations ; & pour y parvenir, il fallait en ramasser une quantité suffisante. C’est dans cette vue que M. Hales fit introduire dans des cornues de verre les branches de différents arbres & arbustes (Fig. 113) ; il eut soin de fermer exactement le bec de la cornue avec de la vessie mouillée, & par ce moyen, il a obtenu plusieurs onces de la liqueur transpirée par la Vigne, le Figuier, le Pommier, le Cerisier, l’Abricotier, le Pêcher, la Rue, le Raifort, la Rhubarbe, le Panais & le chou.

Ces liqueurs étaient toutes fort claires ; & M. Hales dit qu’il ne put distinguer aucune différence dans leur saveur ; leur pesanteur était la même que celle de l’eau commune ; elles ne contenaient pas plus d’air ; seulement quand l’air était chaud & le soleil ardent, elles avaient une légère odeur de la décoction de la plante dont elles étaient sorties.

J’ai retiré aussi des liqueurs de la transpiration de quelques plantes (Pl. XII) ; il m’a paru que celle des plantes fort aromatiques en retenait une légère odeur, qui se dissipait en peu de temps. Au reste, il est probable que de l’eau pure aurait pris une semblable odeur, si on l’eût tenue longtemps renfermée dans un vase où l’on aurait mis les mêmes plantes odorantes ; cependant il faut bien que la liqueur de la transpiration ne soit pas une eau pure, car elle se corrompt plus promptement que l’eau commune.

M. Hales a placé encore la fleur d’un grand Soleil dans le chapiteau d’un alambic : la liqueur que cette fleur fournissait par sa transpiration, après s’être condensée aux parois de ce vaisseau, distillait par le bec. Ce procédé fournissait un moyen bien simple & bien commode pour parvenir à ramasser une grande quantité de cette liqueur, si on la reconnaissait propre à quelques usages.

M. Guettard, qui a fait beaucoup d’expériences sur cette même matière, s’est servi d’un ballon tubulé, comme dans la fig. 114. Il y a introduit la branche d’une plante qui était en pleine terre ; le tube inférieur du ballon répondait à une bouteille ou récipient qu’il tenait recouverte de terre afin de faciliter la condensation des vapeurs ; toutes les ouvertures de ce vaisseau étaient exactement lutées, pour que la moindre portion des vapeurs ne pût être dissipée, & par cette disposition aucune feuille de la branche ne pouvait tremper dans la liqueur qui devait émaner de la transpiration. Outre cela, comme à mesure que la liqueur se condensait, elle coulait dans le récipient où étant à couvert du soleil, il y avait moins à craindre qu’une partie de cette liqueur se réduisît à nouveau en vapeurs qui auraient pu être absorbées par la plante, ou qui auraient pu du moins ralentir sa transpiration. M. Guettard a eu soin de joindre au Mémoire qu’il a lu sur ce sujet à l’Académie, des observations thermométriques & barométriques suivies avec beaucoup d’exactitude.

Ses premières expériences furent faites sur le Groseillier noir ou Cassis, sur l’Agripaume, sur la Pyrèthre des Canaries, sur le Tamarin de Narbonne, sur l’Armoise & sur le Cornouiller à fruit blanc.

La transpiration du Cornouiller, qui a été lé plus abondante de toutes les autres plantes, a monté en 14 jours à 20 onces 4 gros ½, ce qui fait par jour 1 once 3 gros ¾ ; cette branche ne pesait cependant que 5 gros ½. Donc elle fournissait en transpiration, pendant l’espace de 24 heures, presque le double de son poids.

Il est vrai que toutes les plantes ne transpirent pas autant que le Cornouiller, & que suivant certaines circonstances, cet arbre doit beaucoup moins transpirer que pendant la durée de l’expérience dont nous rendons compte. Entre les plantes que M. Guettard a soumises à son expérience, il y en a quelques unes qui n’ont rendu, par la transpiration, que la moitié de leur poids ; mais en général il paraît que le plus grand nombre a été de celles qui fournissent par la transpiration, autant au moins qu’elles pèsent.

Il suit encore des expériences de M. Guettard, ainsi que celles de M. Hales, que la transpiration de la nuit n’est presque rien en comparaison de celle du jour. M. Guettard voulant pousser encore plus loin ses recherches, introduisit deux branches absolument semblables d’un même arbre dans deux ballons de verre, dont l’un restait entièrement exposé au soleil, & l’autre était recouvert d’une serviette qu’il tenait quelquefois appliquée sur ce ballon & qu’il soutenait quelquefois avec des perches, pour interrompre l’action immédiate [directe] du soleil : la transpiration fut toujours bien plus abondante dans le ballon qui était immédiatement exposé à toute l’action du soleil, que dans l’autre.

La curiosité de M. Guettard croissant à mesure qu’il faisait des expériences, il se proposa de connaître si une branche qui ne serait pas aussi immédiatement exposée au soleil, mais qu’on tiendrait seulement dans un air plus échauffé qu’une autre branche pareille qui recevrait immédiatement les rayons du soleil, fournirait plus ou moins de transpiration. Il choisit pour cette expérience un espalier garni de châssis de verre, sous lesquels on avait planté des Grenadiers ; il adapta des ballons à des branches de Grenadiers qui étaient aux deux extrémités de cet espalier ; & toute la différence consistait en ce que les châssis d’un bout de cet espalier étaient ouverts, & que ceux de l’autre bout étaient fermés. Quoique le thermomètre indiquât que l’air de la partie fermée était plus chaud que celui de l’autre partie, néanmoins la transpiration y fut constamment moindre. L’action immédiate du soleil influe donc sur la transpiration par d’autres causes que par celles de la chaleur.

Cette expérience fait voir que s’il est avantageux d’exposer au soleil des fruits qui approchent de leur maturité, afin de concentrer en quelque façon les sucs par une forte transpiration, il est aussi très dangereux de découvrir les fruits verts de leurs feuilles, parce qu’ils courent alors risque de se dessécher, comme cela arrive à nos fruits d’Europe, lorsqu’on les transporte dans des climats trop chauds, où les fruits sont souvent endommagés par des coups de soleil.

Les personnes attentives renferment en automne les raisins dans des sacs de papier, pour empêcher que les guêpes ne les mangent. Cette précaution qui les soustrait à ces mouches, diminue outre cela la transpiration des raisins, qui en deviennent plus gros ; mais aussi il est éprouvé qu’ils en ont moins de goût.

On empaille les Cardons, on butte avec de la terre le Céleri ; on lie les Chicorées, on en plante dans des caves : par ces précautions on diminue beaucoup, à la vérité, leur transpiration, & ces légumes en deviennent plus succulentes, plus tendres & plus délicates mais aussi elles ont moins de goût. Il est donc avantageux de diminuer la transpiration des plantes & des fruits qui ont beaucoup de saveur, & qui n’ont besoin que d’acquérir un certain degré de délicatesse ; & il faut au contraire trouver le moyen d’augmenter la transpiration des fruits très succulents, mais qui manquent de saveur.

Des branches dont on avait coupé les feuilles à la moitié de leur pédicule, n’ont fourni à M. Guettard que 18 grains de transpiration ; au lieu que de pareilles branches, garnies de leurs feuilles, en ont fourni 2 onces 7 gros. La transpiration diminue à mesure qu’on avance dans la saison de l’automne ; & selon les expériences de M. Guettard, la transpiration d’une plante vers la fin d’Octobre est à celle de cette même plante dans le mois d’Août, en raison de 2 ½ à 9. Comme il est démontré que les feuilles contribuent à augmenter le mouvement de la sève dans les arbres, ne pourrait-on pas ôter à un arbre une partie de ses feuilles, dans la vue de ralentir ce mouvement, & de hâter par là la maturité de ses fruits ?En effet, on sait que, tant que les arbres poussent, tant qu’ils abondent en sève, les fruits ne parviennent pas à une parfaite maturité. On pourrait donc ôter aux arbres une partie de leurs feuilles, non pas, à la vérité, dans la vue d’augmenter la transpiration de leurs fruits, en leur procurant l’action immédiate du soleil, mais dans l’intention d’affaiblir le mouvement de leur sève. Quand on voudra tenter ce moyen, il faudra, comme je l’ai déjà dit, attendre que les fruits soient presque entièrement parvenus à leur grosseur naturelle, sans quoi, je sais par expérience qu’ils faneraient.

M. Guettard, après avoir couvert d’un vernis à l’esprit de vin la surface supérieure seulement de quelques feuilles, & à d’autres feuilles la surface inférieure, il s’est aperçu que les unes & les autres en avaient beaucoup souffert. Il lui a paru cependant que les surfaces supérieures des feuilles contribuaient davantage à la transpiration que les surfaces inférieures. J’ai fait, il y a longtemps, les mêmes expériences ; mais les feuilles se trouvèrent tellement endommagées par le vernis, que je n’en ai pu rien conclure.

Selon M. Guettard, les plantes fort succulentes, telles que la Courge, le Thytimale, l’Acorus verus, ont moins transpiré que d’autres plantes d’une nature plus sèche, telles que le Cornouiller ; & l’on n’oserait pas dire qu’elles sont plus succulentes, par la raison qu’elles transpirent moins, puisque les feuilles des arbres qui ne se dépouillent point pendant l’hiver, ne sont pas plus succulentes que celles des autres arbres, quoique les premières transpirent fort peu.

Toutes les expériences de M. Guettard a faites sur les liqueurs provenant de la transpiration de différentes plantes, s’accordent à prouver, ainsi que celles de M. Hales, qu’elles ne diffèrent point de la nature de l’eau la plus simple.

Les expériences de M. Hales prouvent très bien que la pluie, & même les rosées forment un obstacle à la transpiration ; mais M. Guettard a remarqué de plus, que les branches qu’il avait renfermées dans un ballon, ont peu transpiré pendant le temps de pluie, quoiqu’elles fussent absolument hors d’état d’être mouillées, & à l’abri de toute humidité de l’air : ce fait s’accorde avec une de ses expériences, où une serviette qui recouvrait le ballon, suffisait pour diminuer l’action de la transpiration. M. Guettard a encore remarqué que, quand à un jour pluvieux il en succédait d’autres très sereins, & où le ciel était beau & le soleil bien vif, alors la transpiration des plantes n’était pas si abondante qu’elle l’est deux jours après la pluie. Il semblerait donc que, pour que la transpiration fût abondante, il faudrait que l’eau de la pluie eût eu le temps de se réduire en vapeurs dans la terre. Il se peut bien aussi qu’il soit nécessaire qu’elle soit réduite à cet état, pour pouvoir pénétrer les plantes.

Plusieurs expériences que M. Guettard a suivies avec toute l’exactitude possible, prouvent de plus :

  • 1°. Que la transpiration a été des deux tiers plus forte en Juillet qu’en Juin, & encore plus abondante en Août qu’en Juillet ; & comme la végétation est presque toujours plus grande en Juin qu’en Août, on serait porté à croire que la transpiration n’est pas toujours en proportion avec les progrès de la végétation. Au reste, pour en tirer avec sûreté une pareille conséquence, il aurait fallu avoir observé les productions des plantes qui ont fait le sujet de ces observations dans ces différents mois, & c’est ce que nous n’avons pas vu dans les Mémoires de M. Guettard.
  • 2°. La quantité d’eau tombée à Paris, lieu des expériences de M. Guettard, ayant été en Juin de 2 pouces 9 4/5 de lignes ; en Juillet, de 2 pouces 7 1/5 lignes ; & en Août, de 1 pouce 7 1/5 lignes, on voit que la transpiration n’a pas augmenté proportionnellement à la quantité d’eau qui est tombée pendant ces trois mois ; elle a au contraire été le plus grande dans le mois le plus sec : cela s’accorde avec les autres observations de M. Guettard & avec celles de M. Hales, qui établissent que la transpiration des plantes est peu considérable dans les temps de pluie, & même quand le ciel est couvert de nuages ; & qu’elle n’est jamais plus abondante que quand le soleil est net & ardent, & encore lorsqu’il fait du vent & du hâle, pourvu toutefois que la terre ne soit pas extrêmement sèche, & que les racines en puissent pomper toute la sève dont la plante a besoin.
  • 3°. D’autres expériences ont fait connaître à M. Guettard, 1°. Que les plantes grasses transpirent communément très peu. 2°. Que les fruits, surtout ceux qui sont succulents, transpirent beaucoup moins, relativement à leurs masses, que les feuilles des mêmes plantes : ces expériences ont été faites sur des courges, des melons, des raisins, etc. 3°. M. Guettard regarde encore comme très probable que les fleurs, à masse égale, transpirent moins que les feuilles : M. Hales, au contraire, a préféré de comparer les surfaces. 4°. Que la transpiration des branches, quand elles sont un peu endurcies, est très peu de chose : cette expérience a été faite sur une tige d’armoise assez tendre, qui a fourni très peu de transpiration.

Les expériences de M. Guettard sont en trop grand nombre pour qu’il soit possible d’en donner ici un détail complet : nous renvoyons le Lecteur aux volumes des Mémoires de l’Académie des Sciences, années 1748 et 1749.

Il est certain, qu’indépendamment de la liqueur phlegmatique que les plantes fournissent par leur transpiration, & dont nous venons de parler, il s’échappe encore des plantes des parties très subtiles, que nous ne pouvons retirer par aucun des moyens dont il a été fait mention plus haut. On sait, par exemple, que quelques plantes répandent une odeur si forte, que tout un jardin en est parfumé ; c’est une preuve bien certaine qu’il s’en échappe une vapeur très subtile. On croirait volontiers qu’il serait possible de retirer cette vapeur, par les moyens qui nous ont si bien réussi pour obtenir la transpiration phlegmatique des plantes ; cependant, comme nous l’avons déjà dit, la transpiration des plantes très aromatiques, dont i lest parlé dans les expériences précédentes, n’avait conservé qu’une légère odeur de la plante, encore cette odeur se dissipait-elle en peu de temps. Pour rendre raison de ce fait, il est bon de savoir que l’odeur, même la plus forte de plusieurs plantes, est souvent si volatile, qu’on ne peut la retirer par la distillation. L’odeur de la tubéreuse & celle du Jasmin peuvent être données pour exemple : ces odeurs sont si fortes qu’elles se communiquent aux graisses & aux huiles ; mais d’autre part elles sont si ténues, qu’on ne peut les retirer seules. Nous aurons occasion dans la suite de cet ouvrage de traiter cette matière ; il suffit maintenant d’avoir fait mention de cette sécrétion, qui ne pourrait pas être regardée comme une transpiration insensible, s’il était prouvé que ces odeurs ne s’échappent pas immédiatement des plantes, mais des substances qui sont fournies par la transpiration sensible. Quant à moi, je crois qu’elles émanent en partie directement des plantes, & en partie des sécrétions dont nous allons parler.

ART. II. De la transpiration sensible des Plantes.

[pages 150 à 153]

ARTICLE III. Que les Feuilles des Plantes imbibent l’humidité qui les environne.

[pages 153 à 167]

ARTICLE IV. Des productions que font les Plantes arrachées.

[pages 167 à 169]

ARTICLE V. Si les Feuilles dont l’office de Poumons.

[pages 169 à 177]

ART. VI. Expériences qui ont été exécutées pour supprimer la transpiration & l’imbibition de la sève, ou pour arrêter l’introduction & la dissipation de l’air par les Feuilles.

[pages 177 à 182]

Référence

Duhamel du Monceau H.L., 1758. La physique des arbres, t. 2, LXV + 306 p. + planches Paris. texte intégral sur Gallica.

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