Le maïs en France avant les hybrides - Annexe 1

De Les Mots de l'agronomie
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Le maïs dans l’Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables et miraculeuses en nature... de Claude Duret (1605)

« Des Arbres porte-farines

Nous ne nous arresterons en cest endroit, à deduire & rapporter par le menu une infinité de sortes & differences de farines provenans de plusieurs especes de grains (...) Seulement nous dirons que Joseph Acosta Espagnol en son livre 4. chap.16 de son histoire naturelle des Indes, tant Orientales qu’Occidentales, a escrit ce que s’ensuit[1]:


Maintenant pour traitter des plantes, nous commencerons à celles qui sont propres & particulieres és Indes (...). Et pource que les plantes ont esté creées principalement pour l’entretien de l’homme, & que la principale dont il prend nourriture est le pain, il sera bon de dire, quel pain il y a aux Indes, & dequoy ils usent à faut d’iceluy. Ils ont comme nous avons ici un nom propre, par lequel ils designent & signifient le pain, qu’ils disent au Peru, Tanta ; & en d’autres lieux, d’une autre façon. Mais la qualité & substance du pain, dont ils usoient[2] aux Indes, est chose fort differente du nostre ; pource qu’il ne se trouve qu’il y eust aucun genre de froment, ny orge, ny mil, ny de ces autres grains dont on se sert en europe à faire du pain : au lieu de cela ils usoient[3] d’autres sortes de grains & racines, entre lesquels le mays tient le premier lieu, & avec raison : le grain, qu’ils appellent mays, que l’on appelle en Castille, bled d’Inde, & en Italie grain de Turquie. Et ainsi comme le froment est le plus commun grain, pour l’usage des hommes, és Régions de l’ancien monde, qui sont Europe, Asie & Afrique, ainsi aux endroits du nouveau monde, le grain de mays est le plus commun, & qui presque s’est trouvé en tout les Royaumes des Indes Occidentales, comme au Peru, (...) en Gatimalla, en Chillé, en toute la terre ferme. (...) Je ne pense point que le grain de mays soit inferieur au froment, en force ny en substance : mais il est plus grossier, & engendre beaucoup de sang, d’où vient que ceux qui n’y sont point accoustumez, s’ils mangent trop, ils deviennent enflez & roigneux. Il croist en des cannes, ou roseaux, chacun desquels porte une ou deux grappes[4], ausquelles le grain est attaché : & combien que le grain en soit assez gros, si est-ce qu’il s’y en trouve en grande quantité : tellement qu’en telles grappes, j’ay conté sept-cens grains. Il le faut semer à la main un à un, & non pas espards : il veut la terre chaude & humide, & en croist en plusieurs lieux des Indes en fort grande abondance. Et n’est point chose rare en ces pays de recueillir trois cent faneques ou mesures d’une seiée[5] de semence. Il y a de la difference entre le mays, comme il y en a entre le froment : l’un est gros & fort nourrissant, & l’autre petit & sec, qu’ils appellent Moroche. Les feuilles & la canne verte du mays est un manger fort propre pour les mulles, & pour les chevaux, & leur sert aussi de paille quand elle est seiche, le grain en est de plus de subsistance & nourriture pour les chevaux que n’est pas l’orge[6]. (...) Le mays est le pain des Indes, & le mangent communement bouilly, ainsi en grain tout chaud, & l’appellent Mote, (...) quelquefois le mangent roty : il y a du mays rond & gros (...), que les Espagnols mangent rosty, comme viande delicieuse, & a meilleure saveur que les buarbenses ou pois rostis. Il y a une autre façon de le manger plus delicieuse, qui est de moudre le mays, en ayant amassé la fleur, en faire de petits tourteaux qu’ils mettent au feu, qu’on a accoustumé de presenter tout chaud à la table. En quelques endroits ils les appellent Arepas : ils font mesme de ceste paste des boulles rondes, & les accoutrent d’une façon qu’ils durent & se conservent longtemps, les mangeans comme un mets delicieux. Ils ont inventé aux Indes, (pour friandise s & delices) une certaine façon de pastin, qu’ils font de ceste paste & fleur[7], avec du sucre, lesquels ils appellent Biscuits, & Mellindres. Le mays ne sert pas seulement aux Indiens de pain, mais aussi il sert de vin : car ils en font leur boisson, de laquelle ils senyvrent plustost que de vin de raisins : ils font ce vin de mays en diverses façon, l’appellant (...) pour le nom le plus commun és Indes, Chicha, le plus fort se fait en façon de cervoise, mettant tremper premierement le grain de mays jusques à ce qu’il se creve[8], & par apres ils le cuisent d’une telle façon, & devient si fort qu’il en faut peu pour abattre son homme (...) La façon la plus nette, la plus saine, & qui fait moins de dommage est de rotir ce mays, qui est celle dont usent les Indiens, les plus civilistez, & quelques Espagnols mesmes pour medecine : car en effect ils trouvent que c’est une fort salubre boisson pour les reins, d’où vient qu’és Indes à peine se trouve-il aucun qui se plaigne de ce mal de reins, à cause qu’ils boivent de ce Chicha. Les Espagnols & Indiens mangent pour friandise ce mays bouilly ou rosty, quand il est tendre en sa grappe comme laict ; ils le mettent au pot, & en font des saulses, qui est un bon manger. Les rejettons du mays[9] sont fort gros, & servent au lieu de beurre & d’huille : tellement que le mays és Indiens sert aux hommes, & aux bestes, de pain, de vin & d’huille. (...) Je demanderay plustost que je ne respondray, d’où a esté apporté le premier mays aux Indes, & pourquoy ils appellent en Italie ce grain tant profitable, grain de Turquie ? Car à la verité, je ne trouve point que les anciens fassent mention de ce grain (...). Enfin le Createur a de party donné à chaque Region ce qui luy estoit necessaire. A ce continent il a donné le froment, qui est le principal entretenement des hommes : & au continent des Indes, il a doné le mays, qui tient le second lieu apres le froment, pour l’entretenement des hommes & des animaux. »

(Claude Duret, 1605. L’Histoire admirable des plantes et herbes esmerveillables et miraculeuses en nature..., Paris, 1605 : p.176-180. Texte intégral sur Gallica).

Notes

  1. Tout ce qui suit est citation de la traduction en français de l'ouvrage de Joseph Acosta, publiée à Paris en 1598, rééditée en 1600. Texte intégral sur Gallica
  2. espagnol : tenían y usaban, à l’imparfait, comprendre avant l’arrivée des Européens
  3. idem
  4. espagnol : mazorcas
  5. feiée ?
  6. ce que la science moderne a confirmé
  7. de farine
  8. germe
  9. espagnol : cebones de maíz, porcs engraissés au maïs
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