Le maïs, de la téosinte aux variétés hybrides

De Les Mots de l'agronomie
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Cet article fait partie du dossier Maïs.

Auteur : André Gallais

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Article accepté le 17 janvier 2011
Article mis en ligne le 17 janvier 2011


Botanique et origine

Photo 1 : Vue de l’épi de téosinte
Cet épi est formé de quelques grains (6-8 grains), enveloppés dans une cupule, soudés les uns aux autres, en position alterne (distique, c'est-à-dire sur deux rangées opposées). On peut remarquer les spathes comme chez le maïs, mais qui n’enveloppent pas complètement l’épi. A maturité, les grains se détachent les uns des autres et tombent sur le sol.

Le maïs cultivé Zea mays ssp mays est une graminée d’origine tropicale, de la tribu des Maydées. Différentes formes sauvages de l’espèce Zea Mays existent au Mexique ; ce sont les téosintes, avec des formes annuelles, Zea mays ssp mexicana, Zea mays ssp parviglumis considérée aujourd’hui comme l’ancêtre du maïs cultivé, et une forme pérenne, Zea mays ssp perennis (photo 1).

Photo 2 : Plante de téosinte
Une plante est formée par un nombre variable de talles terminées par une panicule mâle et qui portent des ramifications secondaires à la base desquelles se trouvent les petits épis.

Les téosintes sont morphologiquement très différentes du maïs : elles tallent beaucoup (photo 2), forment sur des ramifications latérales de nombreux petits épis (de quelques cm), qui peuvent se prolonger par une petite inflorescence mâle et sont réduits à deux rangées de quelques grains alternes enveloppés dans une cupule cellulosique (équivalent de glumes soudées) ; il n’y a pratiquement pas de rachis : les grains sont soudés les uns aux autres ; à maturité l’épi se désarticule et les grains tombent sur le sol. En revanche, l’inflorescence mâle qui termine toute talle ressemble beaucoup à celle du maïs et les épis sont enveloppés d’une spathe.

Une autre espèce, Tripsacum dactyloïdes, a longtemps été considérée comme un possible ancêtre du maïs, bien qu’elle lui ressemble encore moins que les téosintes : les inflorescences sont terminales et bisexuées, les épillets femelles avec une seule fleur, disposés en deux rangées opposées et alternes, sont situés à la base de l’inflorescence et les épillets mâles sont dans la partie supérieure, disposés par paires sur un côté de l’axe de l’inflorescence. Il n’y a pas de spathes, mais comme chez les téosintes le grain est encapsulé dans une coque cellulosique.

Le maïs est aussi génétiquement plus proche des téosintes que du Tripsacum. Le nombre chromosomique des téosintes diploïdes est le même que celui du maïs (2n = 20), alors que celui de Tripsacum dactyloides est de 36. Il existe cependant une téosinte tétraploïde (2n = 40) : Zea mays ssp perennis. Les téosintes diploïdes Zea mays ssp mexicana et ssp parviglumis se croisent très facilement et échangent des gènes avec le maïs. Les différences de structure des chromosomes entre téosintes et maïs ne sont pas plus grandes qu’à l’intérieur du maïs ; chez un hybride téosinte x maïs, à la méiose, ils s’apparient parfaitement et la F1 est fertile (Photo 3). Les téosintes peuvent donc être considérées comme faisant partie de la même espèce que le maïs. Tripsacum se croise certes avec le maïs et la téosinte, mais beaucoup plus difficilement et les croisements sont stériles.

De plus, on trouve chez les téosintes les mêmes systèmes isoenzymatiques que chez le maïs, avec les mêmes allèles, ce qui montre qu’il n’y a pas eu une grande différenciation (en tout cas pas plus grande qu’à l’intérieur du maïs). Enfin, le génome chloroplastique de quelques téosintes annuelles est identique à celui du maïs. Les études de distance génétique avec les marqueurs moléculaires du génome nucléaire montrent que le maïs est plus proche de Zea mays ssp parviglumis que de Zea mays ssp mexicana, contrairement à ce qui avait été admis dans une première étape.

Un nombre limité de gènes permettent d’expliquer le passage de téosinte à maïs. Dans un croisement téosinte x maïs, en F2, environ une plante sur 500 redonne le type parental (hypothèse de 5 gènes majeurs) (Tx de Beadle, Galinat, voir Doebley, 1990). On connaît plusieurs gènes avec des allèles permettant la perte des caractères téosintes ; ils contrôlent la désarticulation du rachis à maturité, le passage de deux rangées de grains à un multiple de deux, l’induration de la glume, le développement d’épillets par paires et l’inhibition de ramifications latérales avec la transformation de la panicule mâle terminale de la ramification en épis.

Les différences majeures entre la téosinte Zea mays ssp parviglumis et le maïs sont au niveau de la fleur. Les autres différences ne font que traduire les différences observées entre formes sauvage et cultivée d’une espèce : la sélection naturelle qui tend à maximiser la valeur sélective (nombre de descendants laissés par une plante) a conduit à des plantes qui tallent, avec une maturité échelonnée sur une même plante, un dispositif de dispersion des graines (désarticulation du rachis) et des grains protégés… alors que l’intervention de l’homme a fait disparaître le tallage et a conduit à des épis avec un rachis soudé portant de plus en plus de grains nus se développant pratiquement tous en même temps. La conséquence est que, alors que la téosinte se maintient à l’état sauvage, le maïs est devenu totalement dépendant de l’homme. La domestication de la téosinte s’est faite par la fixation de certains gènes à effets assez forts expliquant la différence entre la téosinte et le maïs. Les fouilles montrent que l’allèle dominant du gène du maïs qui inhibe le développement des ramifications latérales a été retenu dès 4000 avant JC ; de plus on ne trouve qu’un seul allèle, ce qui est en faveur d’un seul centre de domestication.

Photo 3 : Disjonction en F2
d’un croisement maïs X téosinte
Le maïs se croise très facilement avec la téosinte, son ancêtre. Par autofécondation de ce croisement (F2) on obtient toute une gamme de formes de l’épi allant de l’épi téosinte, en haut à gauche, à l’épi de maïs actuel, en bas à droite.

La question de savoir s’il y a eu un seul événement de domestication ou plusieurs fait en effet encore l’objet de recherches. L’hypothèse la plus couramment admise est celle d’un seul centre de domestication à partir de Zea mays ssp parviglumis situé dans la région d’Oaxaca et Jalisco (Matsuoka et al., 2002) où les fouilles archéologiques montrent bien le développement d’une agriculture 5000 ans avant JC. Cependant, Zea mays ssp mexicana a joué un grand rôle dans l’évolution du maïs ; elle est très dispersée et présente là où est le maïs, alors que Zea mays ssp parviglumis a une aire restreinte. Des échanges géniques importants ont eu lieu entre Zea mays ssp mexicana et le maïs ; ils ont été très favorables à la variabilité génétique du maïs.

Les fouilles archéologiques n’ont jamais permis de trouver un maïs sauvage ressemblant au maïs actuel ; par contre, elles montrent bien le passage de l’épi de téosinte (2-3 cm) il y a 7000 ans, à celui du maïs qui mesurait environ 7cm 2000 ans plus tard, et près de 10 cm au début de l’ère chrétienne. Au cours du temps, le nombre de grains et leur taille ont considérablement augmenté.

Les plus vieux maïs archéologiques au Mexique ont 7000 ans environ (5000 ans avant JC). La culture du maïs semble s’être surtout développée de -2000 à 0. A cette époque, au Mexique, les tribus se fixent, il apparaît des villages d’agriculteurs, avec une alimentation à base de maïs. Dans ces civilisations (les Olmèques), le maïs joue un rôle important et est représenté sous les traits d’une divinité ou d’une déesse. Cette civilisation va inspirer les Mayas au Sud et donne naissance aux civilisations des Toltèques et des Aztèques (dès 200 ans après JC et l’empire Aztèque durera jusqu’en 1521) où le maïs joue toujours un grand rôle. D’ailleurs, en langage Aztèque, certains anthropologues pensent que téosinte signifierait « dieu du maïs » (téo = dieu, centite = maïs). Chez les Toltèques, la déesse mère accouche tous les ans, au moment de la maturité du maïs, du dieu du Maïs. Le dieu du maïs, est le dieu de la vie. Pour les Mayas, l’homme descend du maïs et le troisième dieu, dans leur hiérarchie est le dieu du maïs. Dans ces civilisations, des sacrifices sont faits pour la culture du maïs (des enfants sont sacrifiés pour que le Dieu Tlaloc, dieu de la pluie, envoie de l’eau pour le maïs). De nombreux rites d’offrandes au dieu du maïs dès le semis traduisent une inquiétude - attitude très différente de celles des civilisations liées à la culture du blé, chez lesquelles la fin des semis était une période de fêtes : dans les zones d’origine du blé, le blé est moins dépendant de la pluviométrie que le maïs au Mexique.


La diffusion du maïs

En Amérique même, les recherches archéologiques et les études à partir des marqueurs moléculaires indiquent deux centres de diversification, l’un au nord de l’équateur issu du centre primaire Mexique-Guatemala, et l’autre au sud de l’équateur à partir du centre secondaire des Andes (Équateur, Pérou) où il est cultivé depuis au moins 4500 ans (Figure 1), d’abord dans les basses terres tropicales, puis en altitude jusqu’à près de 4 000 m. On le trouve dans le sud-ouest des États-Unis 1000 à 1500 ans avant JC, associé au développement d’une l’agriculture à base de maïs, courge et haricot. À partir de cette région le maïs est remonté vers le Nord : dans le Nord-Est des États-Unis il était cultivé par les indiens Iroquois, avant l’arrivée de Jacques Cartier en 1535. Il était aussi cultivé par les indiens du Canada. Des Grands lacs au rio de la Plata, le maïs a joué un rôle important dans l’alimentation des « Indiens », pour toutes les classes sociales.

Origine et diffusion du maïs
Figure 1. Origine et diffusion du maïs dans le monde (d’après Charcosset, 2009).
Les termes « corné et « denté » sont relatifs à la structure du grain. Avec un grain corné, tout l’albumen extérieur est de type vitreux, alors qu’avec un grain denté, ce type d’albumen est réduit au niveau de la partie supérieure du grain.


Le maïs est arrivé en Europe en mars 1493, Christophe Colomb ayant apporté des épis de son premier voyage dans les Caraïbes (Bahamas, Cuba, Saint-Domingue). Sa culture a ainsi démarré (d’abord comme une curiosité) en Andalousie, au Portugal, en Castille, d’où il est passé dans le sud de la France et en Europe. Il était cultivé dès 1554 dans le delta du Pô en Italie, et a été transporté vers l’est (Autriche, Hongrie, Roumanie) ainsi que vers l’Afrique par des marchands portugais, espagnols et italiens (vénitiens). Il s’est révélé intéressant pour l’alimentation de l’homme et des animaux (sous forme de grain mais aussi de fourrage). Mais le développement de sa culture sur de grandes surfaces a été relativement lent. Ainsi dans le sud des Landes et l’ouest des Pyrénées, il ne prend une place importante et stable aux côtés des autres céréales que vers la fin du XVIIe siècle. Au XVIIe siècle (ou au XVIe ?), des formes très précoces sont introduites en France, Angleterre, Hollande et sud de l’Allemagne à partir des colonies anglaises et françaises du Canada.

Le maïs est implanté au début du XVIIIe siècle surtout dans le Sud-Ouest, au sens large, et aussi dans le Centre-Est (Isère, Bresse, Alsace). Parmentier, connu pour avoir développé la culture de la pomme de terre, a aussi beaucoup contribué à l’essor de celle du maïs (voir son mémoire de 1784, où il préconise sa culture pour se mettre à l’abri des disettes et famines). En 1787, Young écrit qu’il a remplacé la jachère... Il occupait 700 000 ha en 1850, mais ses surfaces ont nettement régressé à partir de la fin du XIXe siècle, car les rendements en blé étaient bien meilleurs (sans doute à cause de l’efficacité de la sélection chez le blé et l’inefficacité relative de celle réalisée chez le maïs par les agriculteurs). Les surfaces en maïs n’ont réaugmenté qu’après la deuxième guerre mondiale, avec la mise en place d’une politique agricole, l’utilisation de semences hybrides de maïs sélectionnés aux États-Unis, et finalement le développement à partir de 1955-1960 de variétés hybrides précoces bien adaptées aux conditions françaises... 500 ans après les premières introductions de Christophe Colomb. Cinq siècles pour franchir les obstacles : les distances, les traditions et le climat.

Plante tropicale, le maïs n’était en effet pas adapté aux printemps froids de la France et de l’Europe. Il y a d’abord eu une sorte de sélection « naturelle » pour la précocité, les agriculteurs ne retenant pour la génération suivante que les plus beaux épis arrivant à maturité. C’est cette adaptation progressive par les agriculteurs qui a amené à des populations locales. Le maïs est même « remonté » assez loin puisqu’il existait une population précoce « Etoile de Normandie ». D’autres populations sont bien connues et représentatives d’une région : Jaune d’Alsace, Blanc de Chalosse, Millette du Lauragais, Grand Roux Basque, Jaune Gros de Ruffec…

Dans le monde, cette plante s’est maintenant fait une place parmi les autres céréales. On la cultive dans une grande gamme de latitudes, du Canada jusqu’à la Terre de Feu, avec une grande diversité génétique. Son nombre de feuilles, très lié à la précocité, peut aller de 8 (population Gaspé, de la Gaspésie, au Canada) à plus de 35 avec un cycle de 3 à 11 mois.

Le développement des variétés hybrides

L’invention des variétés hybrides

La contribution de Shull (1908-1909) : le concept de variétés hybrides

Aux États-Unis, la sélection par les agriculteurs des plus beaux épis dans les populations locales est apparue d’une efficacité très limitée : les rendements de 1880 à 1930 n’ont pratiquement pas augmenté (Fig. 2).

Origine et diffusion du maïs
Figure 2. Effet du type de variétés sur le progrès génétique et agronomique chez le maïs aux États-Unis, entre 1865 et 1998 (Gallais, 2009).

Au début du XXe siècle, la mise en œuvre de nouvelles méthodes de sélection inspirées de celles appliquées avec succès par Louis de Vilmorin (1856) pour augmenter le teneur en sucre de la betterave, n’a pas permis d’améliorer le rendement des populations de maïs. Face à cette situation, juste quelques années après la redécouverte des lois de Mendel, Shull (1908, 1909) a eu le génie de concevoir une méthode permettant de reproduire à grande échelle le plus bel épi (pour des raisons génétiques) d’une population. Cette méthode est à la base de la sélection des hybrides entre lignées. Son principe est simple :

- une population maintenue par fécondation croisée, comme l’étaient les populations de maïs (Photo 4), est un mélange d’hybrides simples (résultant du croisement de deux lignées homozygotes) : en effet, chaque plante d’une population est un hybride au sens où elle résulte de la fusion d’un gamète femelle et d’un gamète mâle ; il faudrait alors pouvoir identifier et reproduire à grande échelle la meilleure plante, comment ?

populations françaises de maïs utilisées avant 1950
Photo 4. Différents épis d’une population de maïs cultivée en France avant 1950.

- il suffit de 1) dériver des plantes de la population un grand nombre de lignées qui seront des sources de gamètes constantes et 2) croiser entre elles ces lignées, ce qui « régénère » les génotypes de la population de départ, mais il devient possible d’évaluer la valeur de chaque génotype et donc de sélectionner le meilleur génotype qui pourra être reproduit à partir des lignées parentales homozygotes.

Ce concept est donc un moyen pour reproduire un génotype quelconque d’une population ; il est équivalent au clonage d’un individu. Il s’étend facilement au croisement de deux populations. D’ailleurs, dans la pratique, les parents d’un hybride simple dérivent de deux populations différentes, se combinant bien entre elles. Cependant, de la théorie à la pratique, le développement des variétés hybrides n’a pas été simple.

Du concept des hybrides simples aux hybrides doubles puis le retour aux hybrides simples

Deux difficultés sont apparues. D’abord, du fait de la dépression de consanguinité (forte chez une plante à fécondation croisée), les lignées de maïs avaient une très mauvaise fertilité, à la fois femelle et mâle, ce qui compromettait une production économique des hybrides simples. Jones (1918) résout ce problème d’une certaine façon en proposant de développer des hybrides doubles (croisement de deux hybrides simples) lorsque les deux fertilités, mâle et femelle, sont insuffisantes) ou des hybrides trois voies (croisement d’un hybride simple pris comme femelle avec une lignée prise comme mâle) lorsque seule la fertilité femelle est insuffisante. Cette méthode a toutefois l’inconvénient de ne pas permettre des performances aussi élevées qu’avec un hybride simple. Elle ne pouvait donc être que provisoire, le temps d’améliorer suffisamment par la sélection les fertilités des lignées. Aujourd’hui, dans les pays à agriculture assez intensive, les variétés de maïs sont pratiquement toutes des hybrides, ou des hybrides très proches de la structure hybride simple.

L’autre point de blocage était celui du grand nombre de combinaisons hybrides à évaluer. Les performances des hybrides doubles et des hybrides trois voies peuvent être prévues à partir de la performance des hybrides simples non parentaux. Il restait donc à prévoir la performance des hybrides simples afin de diminuer le nombre de combinaisons à réaliser à partir d’un grand nombre de lignées candidates à la sélection. La sélection sur la valeur des parents est vite apparue insuffisante, et il a fallu attendre 1942 pour avoir la formalisation d’un autre concept, celui d’aptitude à la combinaison, permettant la sélection des parents d’hybrides sur des bases rationnelles. La valeur en combinaison d’une plante peut être définie par la valeur moyenne des descendants qu’elle donne en croisement avec beaucoup d’autres plantes. Aujourd’hui, les lignées de maïs sont sélectionnées sur la base de leur valeur en croisement avec d’autres lignées qui peuvent être de futurs parents d’hybrides.

Avantages de l’hybride simple

L’hybride simple permet une très bonne exploitation de la variabilité du phénomène de vigueur hybride avec l’utilisation des différents effets génétiques. Il permet des performances supérieures de 15-25 % par rapport aux populations ou hybrides de populations. En effet, comme l’a remarqué Shull dès 1908, une population ou un hybride de deux populations (croisement de deux populations) peut toujours être considérée comme un mélange d’hybrides simples d’où il sera possible d’extraire un hybride supérieur à la performance moyenne du mélange. Cet avantage de productivité subsiste dans une grande gamme de conditions de culture. Pour que les hybrides soient économiquement intéressants il suffit que le prix des semences soit tel que le surcoût des semences soit inférieur au gain dû à l’augmentation de rendement. De plus, les hybrides simples présentent en général une grande stabilité de comportement dans des milieux variés : c’est le phénomène d’homéostase, lié à l’hétérosis, avec une supériorité plus importante en milieux stressants. Les hybrides, avec un système racinaire développé valorisent bien l’eau, l’azote... Enfin, par rapport aux populations, ils sont très homogènes (équivalent d’un seul génotype), ce qui permet de standardiser les interventions sur les cultures.

Conséquence : l’obligation de renouvellement des semences par l’agriculteur

Les graines récoltées par l’agriculteur, issues d’un hybride, sont le résultat du croisement entre plantes apparentées, voire même pour un hybride simple entre lignées pures, entre plantes génétiquement identiques entre elles, c’est donc l’équivalent d’une autofécondation. Cette reproduction entre plantes apparentées conduit à une perte de vigueur importante (Fig. 3) correspondant à une réduction de 50 % de l’hétérosis (soit 20 à 30 q/ha), ce qui oblige quasiment l’agriculteur à renouveler ses semences tous les ans. En effet en renouvelant ses semences, ce qu’il gagne en rendement fait plus que compenser le surcoût des semences.

Origine et diffusion du maïs
Figure 3. Illustration du gain de vigueur (H) ou hétérosis chez le maïs
par croisement de deux lignées homozygotes et effet de la multiplication de l’hybride F1
En passant de la F1 à la F2, l’hétérosis est réduit de moitié. Donc, un agriculteur qui ressème les grains récoltés sur un hybride
aura une perte de rendement (de 20 à 30 q/ha pour un rendement de l’hybride de 100 q/ha et avec le matériel végétal actuel).


Il s’agit certes d’une perte d’autonomie, mais cette perte d’autonomie permet de mieux financer le progrès génétique puisque l’obtenteur peut ainsi amortir ses investissements dans la recherche. Cela permet aussi de développer une industrie semencière pour la production d’une semence de qualité.


Pourquoi pas des populations ?

Berlan (2002) a souligné qu’une autre voie d’amélioration, évitant cette perte d’autonomie de l’agriculteur, était possible : l’amélioration des populations. Cependant, il y a plusieurs d’inconvénients à cette voie. D’abord, à court terme, il serait impossible d’atteindre des performances comparables à celle des hybrides. A plus long terme, tous les types d’effets génétiques ne pourront pas être utilisés ou plus difficilement (Gallais, 2009). De plus, les populations améliorées seront hétérogènes, et ne permettront donc pas d’optimiser les interventions sur les cultures.

Avec ce type de variétés, l’agriculteur pourrait s’auto-approvisionner, bien que cela ne serait pas sans risque (risque de pollution génétique par d’autres variétés entraînant la perte de caractères de la variété, risque d’avoir une variété encore plus hétérogène, et des semences de mauvaise qualité sanitaire, voire germinative). S’il s’auto-approvisionne, qui paiera le progrès génétique ? Dans notre système économique, les entreprises n’investissent dans la recherche que si elles peuvent amortir leurs investissements. Avec le développement de populations améliorées, il y aurait donc le risque d’un investissement moindre, voire d’un arrêt de l’investissement privé dans la sélection du maïs, entraînant le ralentissement ou l’arrêt du progrès génétique. L’autre voie serait que ce soit la recherche publique qui fasse l’amélioration des populations ; c'est donc l’Etat, c'est-à-dire le citoyen qui paierait pour le progrès génétique. Mais aujourd’hui, en France, en Europe et plus généralement dans de nombreux pays occidentaux, la recherche publique s’est retirée de la sélection du maïs, comme pour beaucoup d’autres espèces.

Ainsi dans une grande gamme de situations agronomiques, même avec des niveaux d’intensification très différents, les variétés hybrides apparaissent comme un moyen d’avoir un progrès important à court terme tout en assurant le financement du progrès génétique à long terme, avec la meilleure utilisation possible de la variabilité génétique.


Le développement des hybrides en France

Après la guerre de 39-45, il y avait urgence à développer la production agricole pour être assez rapidement autosuffisant au niveau alimentaire. Dans le cadre du plan Marshall, des semences de maïs hybrides américains, assez précoces, ont été importées. Les premiers essais furent très encourageants : les meilleurs hybrides assez précoces furent identifiés : W 240, 255, 355, Iowa 4417. Ils étaient toutefois moins bien adaptés aux basses températures du printemps que les populations locales, mais ils accumulaient plus dans l’épi avec les fortes températures de l’été ; ils étaient aussi plus adaptés à des conditions de cultures un peu plus intensives, ainsi qu’à la mécanisation, car plus homogènes, et plus résistants à la verse. En 10 ans, de 1945 à 1955, les surfaces sont passées de 300 000 ha à 700 000 ha avec un accroissement des rendements de 25-30 % (Cauderon, 1980).

Parallèlement à ces essais d’hybrides américains, l’Inra avait démarré des travaux de sélection du maïs en utilisant le matériel local qui apporte des caractères d’adaptation aux basses températures en combinaison avec des lignées parentes d’hybrides américains qui apporte des caractères de productivité. Sous la direction de A Cauderon, cela a alors conduit dès 1955 aux premiers hybrides précoces « franco-américains » qui vont augmenter encore les rendements de 20 %. Les hybrides précoces franco-américains (Inra 200, Inra 258, Inra 260) ont ainsi permis au maïs de franchir la Loire, ce qui a modifié beaucoup le paysage agricole français. De tels bonds de productivité sur un intervalle de temps aussi court sont rares dans l’histoire des plantes cultivées. A partir de 1965, l’Inra a stimulé le développement de la sélection privée, et a ainsi contribué au développement de l’entreprise Limagrain dont la première variété hybride LG11, un hybride trois voies, a été développée avec des lignées sélectionnées par l’Inra croisées à une lignée américaine. Les surfaces en maïs grain ont alors atteint 1 750 000 ha environ vers 1990 puis ont légèrement décru pour se stabiliser aujourd’hui autour de 1 600 000 ha.


Références citées

  • Berlan J.P., 2002. Sciences sous influence : le maïs hybride et les mythes du progrès technique. In: P. Dockès, ed., Ordre et désordres dans l’économie monde. PUF, Paris, p. 200-244.
  • Cauderon A., 1980. Génétique, sélection et expansion du maïs en France depuis 30 ans. Cultivar, 133, 13-19.
  • Charcosset A. 2009. Genomics of quantitative traits: insights into maize adaptation to Europe and prospects for marker assisted breeding. Conf. 52nd Annual Maize Genetics Conference. Italie
  • Doebley J., Stec A., Wendel J., Edwards M., 1990. Genetic and morphological analysis of a maize teosinte F2 population – implications for the origin of maize. Proc. Natl. Acad. Sci. États-Unis, 87, 9888-9892. Texte intégral sur le site de la revue.
  • Gallais A., 2009. Hétérosis et variétés hybrides en amélioration des plantes. Quae, Versailles, 356p. Présentation sur le site des Éditions Quae.
  • Jones D.F., 1918. The effect of inbreeding and crossbreeding on development. Conn. Agric. Exp. Stat. Bull. 207, 1-100.
  • Matsuoka Y., Vigouroux Y., Goodman M.M., Sanchez G.J., Buckler E., Doebley J., 2002. A single domestication for maize shown by multilocus microsatellite genotyping. Proc. Natl. Acad. Sci. États-Unis, 99, 6080-6084. Texte intégral sur le site de la revue.
  • Parmentier A.A., 1785. Mémoire couronné le 25 Août 1784, par l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Bordeaux sur cette question : Quel serait le meilleur procédé pour conserver le plus long-temps possible, ou en grain ou en farine, le Maïs ou Blé de Turquie, plus connu dans la Guienne sous le nom de Blé d’Espagne ? Et quels seraient les différens moyens d’en tirer parti, dans les années abondantes, indépendamment des usages connus et ordinaires dans cette province ? Augmenté par l’Auteur, de tout ce qui regarde l’Histoire Naturelle & Culture de ce grain. Imp. Arnaud Antoine Pallandre l’aîné, Bordeaux, 171 p.
  • Shull G.H., 1908. The composition of a field of maize. Amer. Breed Assoc. Rep. IV, 296-301.
  • Shull G.H., 1909. A pure-line method in corn breeding. Amer. Breed. Assoc. Rep. V, 51-59.
  • Vilmorin L. (de), 1856. Note sur la création d’une nouvelle race de betterave à sucre. Considérations sur l’hérédité des végétaux. C.R. Acad. Sci., XLIII 18, 871-874.
  • Young A., 1794. Voyages en France pendant les années 1787, 88, 89, 90. 2è éd., Paris, Buisson, t.II, 492 p. Texte intégral sur le site du CNAM et sur Wikisource

Pour en savoir plus

Bibliographie complémentaire

  • Beadle G.W., 1980. The ancestry of corn. Scientific American 242, 112-119.
  • Galinat W.C., 1988. The origin of corn. In Corn and corn improvement, Sprague G.F., Dudley J.W. (Eds) ASA-CSSA-SSSA, 3rd edition, WI, États-Unis, pp 1-31.
  • Gay J.P., 1984. Fabuleux maïs. Editions AGPM, Pau, 295p.
  • Tenaillon M.I., Manicacci D., 2009. Maize origins : an old question under the spotlights. (Ouvrage en cours de publication, Editeur J.L. Prioul).

Liens externes

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