Champ, pièce, parcelle

De Les Mots de l'agronomie

Auteur : Pierre Morlon

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Article accepté le 12 octobre 2012
Article mis en ligne le 12 octobre 2012, complété le 11 février 2022


Les mots champ, pièce, parcelle, sont souvent employés indifféremment comme synonymes. Or ils ne le sont pas, ou pas tout-à-fait. Sans épuiser le sujet, cet article donne quelques éléments pour des emplois plus précis, fondés à la fois sur l’histoire de ces mots et sur le sens qu’ils ont dans le langage courant.

Champ

« Toute la terre deit estre mesuree en chescun champ par sey & chescune coture du champ nome par sun non. (...) E pur ceo ke hom seme le orge en le chaump de furment (...) » (Hosebonderie, ca. 1285). « Toute la terre doit être mesurée dans chaque champ séparément et chaque culture du champ nommée par son nom. (...) Et parce que l’on sème l’orge dans le champ qui a porté du froment (...) »

Définition proposée

En agriculture, un champ est un terrain utilisé pour une production agricole déterminée (espèce, type variétal, association d’espèces...). Défini par ce qu’on y produit, un champ est toujours un champ de quelque chose.
Unité d’action, un champ a le plus souvent une existence de durée limitée (en cultures annuelles, une campagne agricole) - d’autant plus que, pour les cultures pérennes, d’autres mots (plantation, verger) supplantent champ.

Discussion

De façon générale, un champ est un terrain où l’on pratique une activité déterminée, de façon régulière (champ de foire, de courses), occasionnelle ou accidentelle (champ de bataille). On parle aussi d’un champ de ruines, défini par ce qui occupe le sol.

En agriculture, un champ est défini par l’espèce végétale qu’on y produit : champ d’arachide, de blé, de maïs... Mais, de nos jours, l’espèce ne suffit pas, le plus souvent, à déterminer l’activité, donc le champ : si un agriculteur divise une pièce pour y cultiver deux variétés différentes de blé, récoltées séparément pour des usages différents pouvant impliquer des techniques (fertilisation par exemple) différentes, il crée deux champs de blé cette année-là. L’année suivante, il pourra ne faire qu’un champ (d’orge par exemple) dans cette pièce, ou la diviser en trois ou quatre.

Un champ est le plus souvent d’un seul tenant, mais on peut considérer comme un seul champ deux terrains proches portant le même peuplement végétal auquel s’applique, aux mêmes dates, le même itinéraire technique.

Certaines espèces donnent leur nom au champ qui les porte, avec la terminaison -ière : rizière, luzernière, chènevière. S’agissant d’arbres, cultures ligneuses pérennes, la terminaison -aie (oliveraie, peupleraie) s’applique aussi bien à un peuplement naturel qu’à une plantation.

Pièce

« « ... & alors recommencent à la première pièce de terre qu’ils avaient labourée seize ans auparavant » » (Palissy, 1580 : 176.).
« « Que le domaine soit posé en bon & salutaire air, en terroir plaisant & fécond, pourvu de douces & saines eaux, tout uni, & joint en une seule pièce, de figure carrée ou ronde. » » (de Serres, 1605 : 6.).

Définition proposée

En agriculture, une pièce est une étendue de terrain d’un seul tenant possédée ou exploitée par une même personne. C’est une unité foncière assez stable dans le temps.

Discussion

Une pièce est un morceau découpé dans un ensemble plus grand, « une partie séparée de quelque chose entière » (Nicot, 1606), « partie, portion, morceau d'un tout (...) acheter une pièce de terre » (Académie Française, 1694). En agriculture, depuis au moins la Renaissance (La Maison Rustique, Palissy) et jusqu’à maintenant dans le vocabulaire des agriculteurs, c’est une étendue de terrain d’un seul tenant possédée ou exploitée par une même personne (propriétaire, fermier, cultivateur, agriculteur...) – ce que la bureaucratie a baptisé du nom d’îlot. À l’inverse du champ, une pièce est une unité foncière stable dans le temps mais qui peut se modifier :

  • par division lors des héritages quand, par souci d’équité dans l’accès à différents milieux (ou dans les distances à parcourir), chaque pièce est divisée entre les héritiers.
  • ou par fusion de deux ou plusieurs pièces précédemment séparées par des limites physiques (haie, fossé...) ou juridiques (possédées ou exploitées par des personnes différentes). Agrandir ainsi les pièces est l’objectif des remembrements.

Une pièce peut réunir plusieurs parcelles cadastrales (permanentes) ; chaque année, l’exploitant peut aussi la diviser en plusieurs champs portant des espèces ou types variétaux différents.

Parcelle

Recommandation d’usage

Nous ne proposons pas de définition unique pour ce mot, nous recommandons plutôt de le préciser par un adjectif : parcelle cadastrale, expérimentale... Lorsque parcelle est employé dans le sens de pièce de terre, nous préférons ce dernier, plus précis... et, entre deux mots, il faut choisir le moindre !

Discussion

« PARCELLE. Petite partie d’un tout » dit en 1756 le Nouveau Dictionnaire Universel des Arts et des Sciences (Dyche, [1740] 1756). L’Encyclopédie dit à peu près la même chose. Parcelle est donc synonyme de pièce, mais avec une nuance importante : une parcelle est le plus souvent petite, très petite. Duhamel du Monceau écrit ainsi : « Les sels, l’air, le feu, l’eau, & la terre, forment peut-être la nourriture des Plantes. Mais sans entrer dans ce détail, on peut avec M. Tull, regarder la terre réduite en parcelles très-fines, comme la partie principale de cette nourriture » (1750 : 19).

L’emploi de parcelle en agriculture pour désigner un terrain ne déroge pas à ce sens général : c’est toujours une subdivision d’un tout. Mais l’imprécision et l’ambigüité viennent de ce qu’on ne sait pas toujours de quel tout, qui peut être :

  • le territoire d’une commune : les parcelles cadastrales ;
  • une exploitation agricole : « Le cultivateur divise sa ferme en plusieurs parcelles ou soles, sur chacune desquelles il cultive successivement des plantes d'espèce différente ; c'est ce qu'on appelle faire un assolement. » (Dutilleul & Ramé, ca. 1910) ;
  • un champ expérimental, divisé en parcelles (souvent nombreuses donc petites, voire minuscules !), pour comparer différents « traitements » : variétés, modes de semis, fertilisation , travail du sol,...) : « Un essai préliminaire, sur parcelles d'un are mouillées avec 10 litres de solution, permet, en quelques jours, de déterminer la dose la plus favorable. » (Vermorel, 1925). La parcelle, subdivision d’un champ, apparaît à la Renaissance : « ... seront certains champs, plantez par égales parcelles de diverses espèces d'arbres fruitiers, qui seront de grand revenu, savoir est, un champ de noyers, un autre de châtaigniers ; & un autre de noisetiers, poiriers, pommiers, bref, de toutes espèces de fruits » (Palissy, 1563, f. 52) ; mais l’emploi en expérimentation est plus tardif, après 1840 semble-t-il. Dans ses descriptions d’expérimentations, Duhamel du Monceau (1750, 51, 53, 54) n’emploie pas parcelles mais rangées, planches ou plate-bandes, s’attachant plus à la morphologie qu’aux divisions du terrain, qu’il note simplement par les lettres majuscules repérant les polygones sur les figures ; de même Tillet (1755) emploie systématiquement planches.

Ces trois types de « parcelles » (cadastrale, expérimentale, d’exploitation) ne sont pas la même chose. Leur donner le même nom peut rendre un texte confus (si on découpe en parcelles expérimentales une parcelle d’exploitation qui elle-même réunit plusieurs parcelles cadastrales...), et surtout conduire à des erreurs de raisonnement ou d’interprétation, comme de comparer les rendements entre “petites” parcelles expérimentales et “grandes” parcelles d’exploitation : or ceux-ci ne sont pas à priori comparables à cause de différents effets d’échelle : l’hétérogénéité spatiale tant du sol que des apports d’intrants, les effets de bordure, et les soins apportés (Sigaut, 1992).


Historiquement, parcelle a d’abord désigné un lopin de terre, tout petit morceau d’un domaine seigneurial cultivé pour son propre compte par un serf ou quelqu’un de bas rang social, en échange d’argent ou de travail dû au seigneur. (La parcelle pouvant être divisée en plusieurs pièces, situées dans les différentes soles du domaine ou du village). C’est dans ce sens que Robert Grosseteste l’emploie au milieu du XIIe siècle :

« La primere reule enseingne coment seingnur u dame porra saver en chescun maner tutes ses terres par lur parceles, tutes ses rentes, custumes, usages, servages, fraunchises, ses fez, e ses tenemenz.
En dreit de vos foreyne terres, al comencement fetes purchacer le bref le roy de enquere par serment de duze frauncs hommes en chescun maner totes les terres par lur parceles, tote les rentes, costumes, usages, servages, fraunchises, vos fez, e vos tenemenz. » (Grosseteste, ca. 1240).

« La première règle enseigne comment seigneur ou dame pourra savoir en chaque manoir toutes ses terres par leurs parcelles, toutes ses rentes, corvées, droits d’usage, servages, franchises, ses fiefs, et ses possessions.

Concernant vos terres foraines, au commencement faites acheter l’écrit du roi ordonnant que dans chaque manoir douze hommes libres s’informent sous serment de toutes les terres par leurs parcelles, toutes les rentes, corvées, droits d’usage, servages, franchises, vos fiefs, et vos possessions. »

C’est dans ce sens que, plaidant pour le remembrement, François de Neufchâteau l’emploie en 1797 : « Les pièces dont l'ensemble compose une ferme, ou gagnage, suivant le terme du pays, sont des fractions, des hachures, éloignées les unes des autres. (…) Cette subdivision continuelle et indéfinie des propriétés réduit les exploitations à des parcelles, qui ne peuvent plus soutenir même les frais de culture. » (pp. 39 & 53).

Et, un peu plus tard, Passy : « Et les plus vastes domaines de l’Irlande ne sont-ils pas couverts de multitudes de pauvres cotagers, écrasés sous le poids des rentes énormes qu’on leur fait payer pour des parcelles dont l’étendue insuffisante les condamne à végéter dans la misère la plus désolante ? » (1846 : 81). Au XIXe siècle, l’expression « morcellement parcellaire » s’applique aussi bien à la multiplication de toutes petites exploitations, qu’à la division d’une même exploitation en nombreuses pièces, d’où des contresens dès cette époque : Passy, lisant des textes sur l’Allemagne qui l’emploient dans le premier sens, l’interprète dans le second (1846 : 74-75 et 83)

C’est ce sens foncier de toute petite propriété ou exploitation que garde encore dans certains pays l’espagnol parcela (emprunté au français), un parcelario étant un tout petit paysan, et parcelación la division d’un grand domaine en un grand nombre de petites propriétés.


L’emploi de parcelle pour désigner un terrain date ainsi du Moyen Âge, mais les dictionnaires ont mis très longtemps pour l’enregistrer ; il faut par exemple attendre l’édition de 1932-35 pour que l’Académie Française indique dans le sien « En termes de Cadastre, il se dit de chaque petite portion de terre, séparée des terres voisines et appartenant à un propriétaire différent » !

Références citées

  • Académie Française, 1694. Dictionnaire. Paris, 2 t. Texte intégral et Texte intégral sur le portail de l'ATILF.
  • Académie Française, 1932-35. Dictionnaire. [1] et Texte intégral sur le site de l'Académie.
  • Diderot D., d’Alembert J. 1751-1765-1772. Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, 17 + 11 t. Texte intégralsur le portail de l'ATILF.
  • Duhamel du Monceau H.L., 1750. Traité de la culture des terres, suivant les Principes de M. Tull, Anglois. Vol. 1, Paris, XXXVI + 488 p. + figures.
  • Duhamel du Monceau H.L., 1751. Expériences et réflexions relatives au Traité de la culture des terres, publié en 1750.
  • Duhamel du Monceau H.L., 1753. Traité de la culture des terres, suivant les principes de M. Tull, Anglois. Tome second, Paris. [sur GoogleBooks]
  • Duhamel du Monceau H.L., 1754. Traité de la culture des terres. Guérin & Delatour, Paris, t.3, LXIII + 429 p.
  • Dutilleul J., Ramé E., ca. 1910. Les sciences physiques et naturelles - Enseignement primaire, cours moyen et supérieur. Larousse, Paris, 288 p.
  • Dyche T. (d’après), [1740] 1756. Dictionnaire universel des Arts et des Sciences, François, Latin et Anglois, contenant la Signification des Mots de es trois Langues et des Termes propres de chaque Etat & Profession... Traduit de l’Anglois par E. Pézenas & J.F. Féraud. Girard, Avignon, 2 t., 604 et 576 p. [2] et texte intégral sur Gallica. Idem: 1768, Amsterdam.
  • Encyclopédie. Voir Diderot et D’Alembert.
  • François de Neufchâteau N., 1797. Arrêté de l’Administration centrale du Département des Vosges sur un moyen préliminaire d'encourager l'agriculture dans ce département, par la réunion des propriétés morcelées. 89 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Grosseteste R., ca. 1240. Reules [Règles]. Voir Lamond, 1890 et Oschinsky, 1971.
  • Hosebonderie anonyme, ca. 1285. Voir Lamond, 1890 et Oschinsky, 1971.
  • Lamond E., 1890. Walter of Henley's Husbandry, together with an anonymous husbandry, Seneschaucie and Robert Grosseteste's Rules. Longman, Green & Co, London. Texte intégral sur archive.org.
  • Nicot J., 1606. Thresor de la langue françoyse, tant Ancienne que Moderne. D. Douceur, Paris, 674 p. [3] [4] [5]
  • Oschinsky D., 1971. Walter of Henley and Other Treatises on Estate Management and Accounting. Clarendon Press, Oxford, xxiv + 504p.
  • Passy H, 1846. Des systèmes de culture et de leur influence sur l’économie sociale. Guillaumin, Paris, 178 p.
  • Tillet M., 1755. Dissertation sur la cause qui corrompt et noircit les grains de bled dans les épis et sur les moyens de prevenir ces accidens. Bordeaux, Veuve de Pierre Brun, viii + 150 p. + planches H.T.
  • Palissy B., 1563. Recepte veritable, par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs trésors... Texte intégral sur Gallica. Réédition : Droz, Genève, 1988.
  • Palissy B., 1580. Discours admirables, de la nature des eaux et fontaines, tant naturelles qu’artificielles, des metaux, des sels & salines, des pierres, des terres, du feu & des emaux. Paris, XII + 361 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Sigaut F., 1992. Rendements, semis et fertilité. Signification analytique des rendements. In : Patricia Anderson, ed, Préhistoire de l'agriculture : nouvelles approches expérimentales et ethnographiques. CNRS, Paris : 395-403.
  • Vermorel V., ca. 1925. Manuel pratique de la destruction des mauvaises herbes. La Maison rustique, Paris / Librairie du progrès agricole et viticole, Villefranche (Rhône), 39 p.


Pour en savoir plus :

Sites internet

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